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UN PARSI A LONDRES
ET SES
REFLEXIONS SUR LA CIVILISATION ANGLAISE

M. Malabari est un Hindou fort intéressant, que son caractère et ses talens recommandent à l’attention et à la sympathie. Ce petit homme maigre, au teint basané, dont la physionomie exprime tour à tour les vives impressions d’un cœur mélancolique et l’autorité d’un missionnaire qui pense avoir charge d’âmes, est un Parsi, fort attaché à la doctrine de Zoroastre, et ce Parsi est le rédacteur en chef d’un journal important, l’Indian Spectator. Mais il n’est pas un journaliste comme un autre. Il croit encore à la mission sacrée de la presse ; il est fermement convaincu que les journaux sont destinés à redresser les torts, à réformer les abus, à instruire les foules ignorantes, à avertir et à corriger les puissans, à fortifier et à consoler les faibles. M. Malabari aime passionnément son pays ; mais son amour est clairvoyant. Il ne s’aveugle point sur les faiblesses et sur les misères d’une race noble entre toutes, qui par une déplorable fatalité mérita ses malheurs et sa servitude, et il a juré de se consacrer à son relèvement.

Il a l’âme trop religieuse pour protester contre l’arrêt du destin qui a voulu que l’Inde tombât sous la domination de l’Angleterre. Il n’a point de préjugés contre les Anglais ; il lui en coûte peu de reconnaître leurs mérites, il ne conteste pas leur supériorité. Il critique seulement leurs méthodes de gouvernement, il leur reproche d’être des maîtres maladroits. Les uns sont des soldats, qui ne croient qu’à leur épée, qui se figurent que la force suffira pour retenir à jamais les Hindous dans l’obéissance, sans qu’il soit nécessaire de raisonner avec eux. — « Vous vous trompez, mon cher colonel Matamore ! s’écrie M. Malabari.