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bien regarder, que la plus grande réserve sous la plus grande politesse. On ne nie pas qu’il n’y ait en lui une force et il faut le croire, puisque tout le monde le dit, mais elle se cache, et ce sont toujours les eaux dormantes de Hollande.

Quoi qu’il en soit, on raconte tout bas que la régente, au moment de constituer le cabinet, eut peur de M. Tak van Poortvliet et de son libéralisme, qu’elle jugeait trop radical. Ce ne fut pas lui qu’elle appela, mais bien M. van Tienhoven, l’aimable et spirituel bourgmestre d’Amsterdam, de sorte que le ministère actuel n’est pas, comme nos journaux ont coutume de l’écrire, le cabinet Tak van Poortvliet, mais le cabinet van Tienhoven. Il n’y a point, aux Pays-Bas, de ministre président : chaque ministre préside le Conseil, à tour de rôle, pendant un mois, et l’usage est de désigner le cabinet par le nom de l’homme politique auquel le prince a confié le mandat. Ce mandat, la reine régente l’a confié en 1891 à un ami des jours de deuil, à l’honorable M. van Tienhoven. Peut-être s’est-elle rappelé le soir où, à travers un peuple ému et respectueux, M. van Tienhoven accompagnait dans les rues d’Amsterdam la petite reine endormie sur les coussins de la voiture et ce peuple disant de sa fragile souveraine, comme si le soin du bourgmestre à la garder du froid était tout un symbole et comme si, par lui, la Hollande entière l’eût adoptée, ce soir-là, et couverte de son amour : « C’est notre Wilhelmine ! notre petite enfant ! » M. van Tienhoven a, sur l’appel de la régente, formé le ministère, où il a pris le portefeuille des Affaires étrangères et laissé à M. Tak celui, plus important dans les circonstances présentes, des affaires intérieures : le vrai ministre politique n’en est pas moins M. Tak van Poortvliet ; le projet de loi électorale est son projet et, quel qu’en soit le sort, c’est M. Tak van Poortvliet qui sera vainqueur ou vaincu. Le cabinet est complété utilement et même brillamment par le ministre des finances, M. Pierson, économiste d’une rare érudition et praticien d’une rare expérience, ancien président de la Banque néerlandaise, et par le ministre des Colonies, M. le baron van Dedem, un type du parfait gentilhomme moderne, que son temps intéresse et qui ne se retranche pas, comme dans un dédain boudeur, derrière l’antiquité, pourtant certaine, de sa maison.


II

Les embarras du cabinet ont commencé au lendemain de sa formation, et les embarras du parti libéral, au lendemain de sa victoire. Le cabinet précédent, le cabinet Mackay, ayant, on le