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famées qu’on lui souffle la haine de ses chefs, le mépris de la discipline, là que la propagande anarchiste le guette. Si bien que chaque soir détruit une partie de l’œuvre élevée chaque jour par l’effort des chefs.

Voilà pourquoi cette réforme est de si grande importance. Elle pourra coûter à l’Etat quelques dépenses, elle imposera aux officiers déjà surchargés par leur tâche un fardeau de plus. Jamais argent n’aura été mieux employé, et la France ne marchandera pas son sacrifice pour assurer la santé morale de ses fils. Les officiers ne marchanderont pas davantage le leur : c’est leur coutume d’être généreux devant le devoir comme devant le danger, dès qu’ils le voient clairement. Or la transformation de l’armée, autant qu’elle a étendu leur autorité, a élevé leur ministère. La patrie ne leur a pas confié ses enfans pour quelques heures du jour, mais pour toutes les heures. Comme tout emploi de son temps et ses plaisirs même fortifient ou amoindrissent le soldat et l’homme, jamais il ne doit leur être indifférent, jamais ils ne lui sont inutiles. Au pouvoir de commandement et de contrainte qu’ils exercent durant le travail s’ajoute, s’ils veulent remplir toute leur fonction, un pouvoir de tutelle et de bonté durant les heures de détente et de repos. Et quand, après lui avoir appris à combattre, ils lui apprendront à se distraire, cet humble soin ne sera pas plus perdu que l’autre. La solidité des liens entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent est la force des troupes. Elle naissait autrefois par la longue habitude, elle ne peut se former dans le service à court terme que par la multiplicité des rapports. Le chef n’a plus le temps d’avancer à l’ancienneté dans le cœur des hommes, il faut qu’il avance au choix. Le choix c’est la preuve spontanée, constante de son bon vouloir. C’est d’ailleurs dans les instans où, plus libres, ils montrent mieux leur nature qu’il achèvera de les connaître, parfois même qu’il commencera à les juger. Pour eux rien ne saurait les toucher davantage que cette sollicitude volontaire, ce souci délicat de leur rendre les heures moins longues. On ne sait pas assez ce qu’il y a de douceur pour les humbles à constater qu’ils comptent aux yeux de leurs chefs ou de leurs maîtres. Dans toute joie de ce genre que l’officier donne à ses soldats, il sème de la gratitude, et au jour du combat elle s’appelle la fidélité, la patience, le dévouement, qui font la victoire. C’est dans leur propre cœur que nos officiers trouveront l’attrait de ce devoir et le secret de le bien accomplir. Tout amour désintéressé est intelligence.


Ainsi la vertu de nos institutions nouvelles travaille, par un