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Ce qu’on pouvait reprocher au sous-secrétariat, c’est que tout y aboutissait aux mains de deux ou trois personnes, sans compter le ministre, et que le détail de notre empire colonial, les choses d’Asie et les choses d’Afrique, la politique et le commerce, le système pénitentiaire et le régime douanier, ces deux ou trois personnes devaient tout savoir, tout comprendre, tout diriger. Par bonheur, les fonctionnaires dont il s’agit étaient d’une intelligence souple et d’un tempérament laborieux : les choses avec eux allaient donc tant bien que mal. Mais on ne peut indéfiniment remplacer la méthode dans l’administration par le zèle chez les agens. Et le moment est venu d’asseoir le ministère des Colonies sur des bases rationnelles.

Sous le régime parlementaire, la décision appartient au ministre ; par le jeu rationnel de ce régime, ce ministre n’est ordinairement pas un spécialiste des choses de son ministère. Il a été choisi pour son bon sens et son ouverture d’esprit ; il a une conception générale des affaires, mais il ne sait pas, il ne peut pas savoir (peut-être même vaut-il mieux qu’il ne sache pas) le détail de chacune d’elles. Quels services ce ministre des Colonies attend-il donc de ses bureaux ? Il attend qu’ils fassent son éducation professionnelle et aussi qu’ils lui composent et lui commentent le dossier de chaque affaire, qu’ils lui indiquent les précédens et les conséquences de chaque mesure. Son temps est précieux ; le commerce, pour le profit duquel, en somme, on possède les colonies, attend impatiemment les solutions : il faut que les fonctionnaires du ministère soient en état de pouvoir, neuf fois sur dix, lui donner séance tenante le renseignement demandé. Ce doivent être des dictionnaires vivans qui lui épargnent la lenteur des recherches. « De quand date cette entreprise ? » Et la date aussitôt est fournie. « Quelle loi permet d’accueillir cette demande ? » Et la loi est aussitôt indiquée.

Il va de soi, que si l’on exige des fonctionnaires cette connaissance impeccable des choses et dans les principes et dans les détails, ces fonctionnaires doivent forcément être spécialisés. La spécialisation sans doute a ses inconvéniens : elle rétrécit l’esprit. Mais, dans un ministère comme celui des colonies, chaque spécialité est encore assez vaste pour permettre aux principaux fonctionnaires les vues d’ensemble. De plus, la spécialisation devrait ici être comprise de telle façon qu’elle ne fût pas un obstacle à l’intelligence des intérêts généraux.

C’est qu’en effet dans le gouvernement des colonies, il est presque impossible de séparer la politique des affaires. Vous négociez, par exemple, un traité de commerce entre la Chine et le