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permanente de contracter avec nous un lien même économique. Comment a-t-on pu considérer une telle invention comme nous étant avantageuse ? Le maintien du royaume des Pays-Bas eût été préférable. Quoique organisé contre nous, il avait gardé la liberté des alliances. Rien ne s’opposait à ce que, par la suite, sous la menace de la prépotence allemande, d’ennemi il ne devînt allié, ce qui est advenu au Piémont, autre puissance rétablie de même contre nous.

Du reste, s’il exista quelque doute sur l’intention antifrançaise de la neutralité belge, il fut dissipé par le choix du prince auquel fut confiée la mission de la pratiquer. Léopold de Saxe-Cobourg, notre ennemi par tradition et par instinct, avait été l’un des premiers princes qui donnèrent le signal du soulèvement germanique. Il avait combattu contre nous à Lützen, Bautzen, Hanau. Par son premier mariage avec la princesse Charlotte, princesse de Galles, par celui de sa sœur avec le duc de Kent, père de la reine Victoria, il était devenu prince anglais. On le savait en France. A la nouvelle de sa candidature, notre ministre des affaires étrangères, Sébastiani, s’emporta jusqu’à dire : « Si Saxe-Cobourg met le pied en Belgique, nous tirerons des coups de canon. — Eh bien ! ripostèrent les délégués belges, nous chargerons les Anglais d’y répondre. » On ne vint à bout de notre résistance qu’en menaçant Louis-Philippe de la candidature d’un membre de la famille des Napoléon[1] et en lui demandant la main, en secondes noces, de l’une de ses filles pour le nouveau roi.

Dès que le prince germano-anglais fut installé à nos portes, il ne manqua pas, malgré les remontrances de son beau-père, à ce qu’on attendait de lui. Souple, avisé, intelligent, cauteleux, il a consciencieusement rempli son rôle d’informateur au profit des cours étrangères. Il n’a cessé de surveiller, d’envenimer nos moindres mouvemens, de les dénoncer à Berlin et à Londres, de nous susciter des mauvais vouloirs et des hostilités.


XI

On ne saurait cependant méconnaître que, dans son ambassade, Talleyrand, sans lui attribuer de faux mérites, ait rendu de réels services à ceux qui l’employèrent. Ni les effervescences parisiennes, ni les tergiversations ou les entraînemens ministériels, ne le détournèrent de la poursuite de son dessein. Certes, sans le ferme vouloir du roi et la vaillance de Casimir Perier et de Victor de Broglie, il eût finalement échoué ; toutefois, c’est en grande

  1. Juste, t. II, p. 151.