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d’ailleurs à se retirer à soi-même la faculté d’emprunter de nouveau.

Ce sont là des règles de morale applicables aussi bien aux gouvernemens qu’aux particuliers. Il ne manque pas de gouvernemens obérés qui ont obtenu des concordats dans cet ordre d’idée. Mais c’est dans les pays obérés que la question se pose. Je ne sais pas s’il se trouvera un membre du parlement capable, — je ne le crois pas, — d’inscrire la France sur la liste des pays obérés ou, comme on dit aujourd’hui, à finances avariées.

Si, en pleine paix, dans un pays riche comme le nôtre, sans y être obligé, si ce n’est pour poursuivre une répartition prétendue plus équitable des charges publiques, le ministre des finances prélevait, de par la loi, sur un coupon de rente échu, une portion quelconque de la valeur de ce coupon, ce ne serait plus d’une liquidation amiable ou judiciaire qu’il s’agirait, ni même d’une simple faillite par impossibilité de payer, — car cette impossibilité de payer n’est pas prouvée ; — ce ne serait pas non plus courber la tête sous la force majeure, — où est la force majeure ? — ce serait bel et bien un manque de foi et le vrai nom de cette extraordinaire réforme de l’impôt, si elle aboutissait à retrancher un quartier, serait purement et simplement la banqueroute.

Un État est maître de ses lois d’ordre général, et quand il légifère, il donne des ordres ; ces ordres, il peut les retirer quand il lui plaît. Les pouvoirs publics font et abrogent les lois dans les conditions déterminées par la constitution du pays. Mais, quand un État emprunte, il ne fait pas une loi, il traite avec des tiers ; il fait un contrat. Il agit comme un homme, et s’il a pris un engagement, il doit le tenir en honnête homme.

Aucun raisonnement ne pourra jamais persuader à personne qu’un ministre puisse honnêtement proposer à son pays de manquer à des engagemens que les représentans de la nation ont pris en son nom. Si c’est par l’initiative individuelle que le Parlement est saisi d’une semblable proposition, le ministre des finances, s’il ne s’y oppose pas, perd du coup tout droit à la confiance des honnêtes gens.

Le désir de maintenir les dépenses publiques à un certain niveau, ou de ménager des catégories de contribuables, ou de faire des travaux utiles, ou d’assurer une protection plus efficace à certains intérêts plus ou moins recommandables, ne peuvent pas passer pour des cas de force majeure. Si on ne paie pas tout ce qu’on doit parce qu’on préfère simplement se dispenser de payer, on se déshonore, et il est impossible de croire qu’un ministre français et des Chambres françaises envisagent de sang-froid un