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Frœschwiller ; un corps d’armée au gouverneur du prince impérial. Frossard, qui avait été battu à Forbach ; les fonctions de ministre et de major général à Lebœuf, appelé au double honneur de former l’armée et de la conduire, et qui, trop sûr du succès pour le préparer, avait épuisé toutes ses énergies à obtenir la guerre et se montrait vide d’idées depuis qu’il la fallait faire.

Le cabinet n’était pas plus ménagé. A ce moment on ne lui reprochait pas encore d’avoir voulu la lutte, mais de s’être laissé surprendre par elle. Les assurances données sur nos forces et nos alliances retentissaient encore aux oreilles de la France isolée et battue : les ministres des affaires étrangères et de la guerre entraînaient dans leur discrédit le chef du cabinet, M. Emile Ollivier. Contre ce dernier d’autres griefs que le patriotisme humilié cherchaient une occasion. Les républicains et les royalistes qui ne lui pardonnaient pas d’avoir, en établissant l’empire libéral, coupé les ailes à la révolution ; les bonapartistes qui confondaient l’autorité avec la dictature et regrettaient le régime de 1852 ; ceux enfin qui pour sauver la dynastie voulaient détourner sur une autre victime la colère publique se trouvèrent unis contre lui. Populaire, la veille de la guerre, comme l’ont été peu d’hommes d’Etat, il devint le centre des haines ; attaqué par les partis les plus opposés, il sembla n’avoir pu les réunir que par l’évidence d’une impardonnable faute ; et le peuple en réclamant sa chute voulut s’absoudre d’avoir cru en lui.

Ainsi, les chefs de l’armée et du gouvernement se trouvèrent destitués par l’opinion.

Or la confiance dans l’autorité est le premier besoin des peuples. Tant qu’une nation, même battue par la tempête, demeure à l’ancre de ses pouvoirs, elle se sent rattachée à la terre ferme par ces chaînes protectrices ; ses chefs lui donnent leur clairvoyance, elle leur donne sa force et le cœur ne lui tourne pas. Mais si ses maux lui font ce mal suprême de détruire sa foi en ceux qui la conduisent, elle se sent hors de l’ordre, de la discipline, sans laquelle il n’y a ni unité dans les efforts, ni succès dans les desseins, ni grandeur dans l’histoire. Sa confiance ne peut demeurer vacante et abandonner les chefs anciens sans courir à de nouveaux : tant il est vrai que pour les hommes la plus grande détresse est de n’avoir pas à qui obéir !

Voilà pourquoi, à la nouvelle de nos désastres, le souci dominant, passionné, universel de la France fut de découvrir des chefs pour le salut commun. Comme le salut était la victoire, on cherchait, on voulait des hommes d’épée. Et à la chaleur de cette