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combinaisons politiques, voués par leur profession d’avocats et leurs facultés maîtresses au culte de la parole, n’avaient que rajeuni par la violence de leur rhétorique la conception parlementaire, et bourgeoise du régime républicain. Les violens véritables ne se sentaient pas représentés quand le plébiscite de 1870 leur fournit l’occasion de prendre leur part dans le gouvernement du parti. Sous prétexte que, dans la campagne à conduire, la presse et les comités de propagande étaient les deux forces décisives, les chefs révolutionnaires qui disposaient de quelques journaux, qui avaient fait de ces journaux le centre de groupes démagogiques, et par ces groupes avaient action sur les sections de l’Internationale et la masse des ouvriers, prétendirent délibérer, à titre égal, avec les députés républicains. Certains de ces députés, que leur répugnance pour la démagogie rendait jaloux de leur prérogative et auxquels un collège d’électeurs modérés permettait du caractère, ne consentirent pas et, avec M. Ernest Picard, formèrent la « gauche fermée ». Ils n’étaient pas les plus nombreux. La plupart, cédant à la crainte de perdre leur siège s’ils s’aliénaient les révolutionnaires qui disposaient des ouvriers, à la discipline de haine qui leur rendait amis tous les ennemis de l’empire, aux servitudes maçonniques enfin qui les liaient et souvent les subordonnaient aux pires démagogues, acceptèrent la délibération commune. L’ayant acceptée pour le plébiscite, ils ne purent plus y mettre fin. La « gauche ouverte » demeura ouverte, ses séances de la rue de la Sourdière devinrent une institution, le rendez-vous où les représentans de l’émeute se réunissaient aux représentais du peuple, où la légalité et la révolution se mêlaient, se concertaient, se surveillaient et tentaient de se dominer l’une l’autre, mais où les modérés, s’ils se compromettaient dans ces contacts, gardaient encore la direction : car jusqu’à la guerre, nul, même parmi les plus exaltés, n’osait tenter la politique de l’émeute. Nos revers changèrent tout. En frappant l’empire, ils ouvraient tout à coup aux républicains la perspective prochaine du pouvoir, et l’espoir de cette conquête mit aussitôt à jour la contradiction de leurs vues. Les chefs des jacobins et les meneurs des ouvriers jugeaient l’instant venu de jeter bas, par la main de Paris, la dynastie, le Corps législatif ; de faire ainsi place nette à la République ; de transformer grâce à la République la guerre même ; de lancer sur l’envahisseur, au lieu des armées impuissantes, la nation devenue invincible par la vertu du souffle révolutionnaire ; et après avoir conquis la paix extérieure, de balayer, par la puissance du même souffle, dans la France régénérée, les iniquités sociales. Les députés même les plus engagés avec le parti de