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bras de cendre, comment le vœu de cette âme tendre avait pu être exaucé, et quel pouvait être le paysage qu’elle avait contemplé dans ses dernières heures ? Les bois à moitié chauves, les champs pierreux qui se succédaient, me faisaient mal augurer de la réponse. Je me trompais. Le fleuve, depuis longtemps perdu de vue, réapparaît tout à coup. Un amas de vieilles maisons se pressent sur l’autre bord, montant en désordre, dominées par une tour en ruine. Et de là, du couvent des Carmélites bâti à mi-hauteur, le regard prend en enfilade une large vallée verte coupée par le Tonnes, oui, verte d’une verdure fraîche, saine et reposante, verte à droite et à gauche, où s’étendent des prés semblables à ceux de nos rivières, où paissent des troupeaux de bœufs, où l’herbe se renouvelle et fleurit trois fois l’an. Vous ne sauriez croire, mon ami, la douceur du vrai vert, couleur d’enfance pour nos yeux, et qui leur manque vile, et dont ils cherchent vainement la joie dans la grisaille des oliviers ou dans la fourrure sombre des pins. Cette Alba de Tormès évoque en mon esprit une idée d’émeraude.

Et voici qu’aujourd’hui, devant Avila, berceau de la sainte, après avoir traversé le palais converti en chapelles, où l’une des âmes les plus exquises du monde prit sa forme terrestre, je demeure également frappé de la beauté du site, et d’une autre chose encore, plus singulière, je veux dire de l’étroite ressemblance entre Avila d’Espagne et Assise d’Italie. Je veux bien admirer l’église fortifiée, ses chevaliers de granit, debout, en cottes de mailles, sur la façade, les ogives fines, la pierre jaspée, blanche et rouge, qui jette, du haut des voûtes, de si riches reflets sur les dalles du chœur, ces murailles intactes qui enserrent la petite ville, leurs créneaux à la mode arabe, leurs portes aiguës, dont l’ouverture encadre si nettement des lointains aux nuances pâles ; mais le souvenir de l’Ombrie est plus fort que tout. Le dessin des deux plaines est absolument le même. La ville de sainte Thérèse, comme celle de saint François, guerrière, délabrée, grimpée sur un piédestal de roches fauves, regarde une grande vallée calme, enveloppée de montagnes bleues. Ici, la montagne est plus dentelée peut-être, la vallée plus froide. Une rivière, une intention d’eau et de fraîcheur, serpente à travers les espaces blonds. Mais comme je retrouve ce silence, cette belle forme oblongue du paysage, cette couleur de terre profonde où il semble que tout germe et meure sans effort, et cette transparence de l’air qui fait qu’on marche en rêve jusque sur l’horizon ! Quel lieu d’élection pour naître, et pour grandir ! Et quelles méditations, dans ce jardin fermé, à la fois si intime et si large !

J’arrête, dans la rue, une femme à laquelle je demande des