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entendre siffler la plus venimeuse des calomnies, celle que la politique cache sous le manteau de la religion. Il les a connus par expérience personnelle, ceux dont il dit dans son énergique langage : « De telles gens, qui suggèrent à S. S. de demander des choses qu’ils sauront ne se pouvoir faire, qui pour un poil de leur intérêt ne se soucieroient que S. S. et le Saint-Siège perdît l’obéissance de toute la France, et que la religion catholique souffrît une grande diminution. »

D’Ossat n’a pas fléchi un seul jour dans son exacte appréciation des choses de France, dans son espoir du succès final. Où puisait-il l’énergie nécessaire à cette lutte? Quel mobile l’animait? L’intérêt? Il ne vivait que des bontés de Joyeuse. Il fut toujours réduit aux expédiens. Henri était fort empêché de récompenser les bons offices : Du Perron, quand il vint en ambassade pour l’urgente affaire de l’absolution, dut reculer son départ pendant trois mois faute d’argent. D’Ossat ne reçut qu’en 1596 l’évêché de Rennes, changé plus tard pour celui de Bayeux: des deux il ne tira pas en tout deux mille écus ; il était trop loin, et ses chanoines retenaient les revenus. Lors de sa promotion au cardinalat il n’avait pas de quoi acheter le carrosse et le lit de damas rouge. — Non, on a beau fouiller dans cette vie, dans cette intelligence et dans ce cœur, on n’y trouve qu’un mobile d’action : comme il l’écrivait un jour au duc de Nevers, « faire ce qui sera du debvoir d’un bon François. » Tout d’Ossat est dans ces mots. C’est par là qu’il est vénérable.

Et habile, de quelle souple et constante habileté ! Pour la faire apparaître, il faudrait citer de longs extraits de la correspondance, entrer dans le détail des négociations. Il joue ses grosses parties sous le pontificat de Clément VIII. Il a pris racine et autorité dans Rome; il pratique sans cesse le pape. Dans les Lettres, nous voyons vivre Aldobrandini comme en un portrait des maîtres de la Renaissance. D’Ossat connaît la signification de chaque geste du vieillard, et des rougeurs, et des lamentations, et des colères soufflées par l’Espagnol ; il sait à quoi s’en tenir sur les attaques de goutte suspensives d’une décision, sur l’accueil navré quand il remet un mémoire : « Vous me voulez tuer, me faisant étudier avec ces grandes chaleurs. » Les deux interlocuteurs ont de singulières discussions. Le pape ne peut prendre son parti de l’alliance d’Henri IV avec l’hérétique Elisabeth. — Exigences de la politique, répond d’Ossat; c’est une grande reine, et d’un génie redoutable : telle était l’opinion de Sixte-Quint. — Ce n’est plus vrai; réplique Clément, et il s’efforce de prouver que les femmes qui ont « aimé le déduit » dans leur jeunesse perdent de bonne heure leurs facultés. D’Ossat n’est pas convaincu. —