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qu’à tirer de Bonaparte le meilleur parti que l’on pourra, c’est-à-dire les clauses les plus confuses possibles pour l’affaire du Rhin, et autant de terre italienne qu’il sera possible d’en extorquer. L’empereur François écrit à Bonaparte, le 20 septembre, pour témoigner de son désir de la paix ; premier pas de ce souverain vers l’homme à qui il devait céder tant de ses provinces, abandonner la suprématie impériale et, finalement, donner sa fille en mariage. Cette fois, il ne s’agit plus de traîner les conférences en chicanes de formes et de délayer des notes de principes : ni Gallo, ni Merveldt ne suffisent plus. Thugut envoie à Bonaparte un homme de confiance, le plus habile et le plus réputé de ses négociateurs, le comte Louis Cobenzl, récemment revenu de Pétersbourg. Bonaparte avait affronté les plus illustres généraux de l’empire et les avait battus ; mais, dans les négociations, il n’avait eu affaire qu’à des comparses : il les avait trop aisément déconcertés. Il allait, pour la première fois, se trouver en présence d’un partenaire de grande surface et de haute allure, d’un des hommes de cour les plus recherchés, d’un des diplomates les plus considérés dans les chancelleries, qui avait appris à lire avec Kaunitz, qui avait fait ses premières classes, ses « humanités », à l’école de Frédéric, et complété ses études à la cour de Russie. Cobenzl passait, à juste titre, pour expert dans les grandes affaires et versé dans le droit public : il avait négocié deux partages de la Pologne, et il allait reprendre avec Bonaparte le démembrement de Venise au point où il l’avait laissé naguère avec la grande Catherine[1].


Albert Sorel.

  1. Lettres de Thugut à Colloredo, 5 août-1er septembre 1797. — Vivenot, Thugut, t. II. — Sybel, trad., t. V, p. 122 et suiv. — Hüffer, p. 379 et suiv.