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le bonheur, et elle reconnaîtra à chacun de ces symboles sa valeur et sa dignité propres. Enfin, elle ne consentira pas non plus à ce que la pensée humaine s’interdise désormais toute recherche sur ce qui n’est pas phénomène ou loi des phénomènes. Son instinct métaphysique l’avertit que l’idée de l’inconnaissable, qui subsiste dans le positivisme, est une ouverture par où reparaîtra la spéculation sur l’absolu.

Mais si le positivisme, comme système, a peu de chances de conquérir l’Allemagne, l’esprit général de cette doctrine, en revanche, s’y est répandu partout, et son influence s’y manifeste sous mille formes, dans la littérature, dans l’art et dans les mœurs. Pour ne parler ici que de la science, quoi de plus significatif que la modification, — c’est trop peu dire, — la transformation subie par les sciences morales ? La psychologie, en Allemagne, a rompu résolument tout lien avec la métaphysique, et s’efforce de se constituer comme science indépendante. Elle a sa méthode propre, ses laboratoires, ses instrumens. La morale s’essaie à la méthode objective, et elle étudie l’évolution des coutumes et du droit. La sociologie enfin, bien qu’elle hésite encore sur ses limites et sur ses rapports avec les sciences voisines, travaille avec ardeur, avec confiance, et il n’y a plus guère d’Universités qui ne lui fassent une place dans leur enseignement. Or tout ce mouvement procède d’Auguste Comte. MM. Wundt, Simmel, Barth et leurs émules, s’ils ne suivent pas, il est vrai, la direction que Comte a indiquée, marchent dumoins dans la voie qu’il a ouverte. Ils lui doivent l’idée même de leur science. Mesurez par là le terrain que la métaphysique a perdu en Allemagne. Au commencement du siècle, au temps de Schelling et de Hegel, elle étendait son empire, par delà les sciences de l’esprit, jusque sur les sciences de la nature. Aujourd’hui cet empire n’existe plus, et non seulement les sciences de la nature jouissent d’une entière indépendance, mais les sciences morales elles-mêmes, pour être vraiment des sciences, ne veulent plus rien avoir de commun avec la métaphysique.


III

La philosophie d’un peuple, surtout d’un peuple tel que l’Allemagne, est étroitement liée au développement de la vie nationale. Elle en est une expression aussi fidèle que l’art ou la littérature le peuvent être. Il est donc artificiel de prétendre expliquer les formes successives de cette philosophie par des raisons purement logiques, ou tirées de la seule considération des systèmes.