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numériques des deux armées achevait de nous rassurer sur le résultat final de la lutte. D’après les sources les plus sûres, en effet, l’armée française comprenait au plus 567 000 hommes, tandis que la nôtre en comptait, dès le mois d’août, plus de 982 000. »

Le général de Verdy insiste, à plusieurs reprises, sur cette supériorité numérique de l’armée allemande ; il en est aussi lier, on le sent, que de l’excellence du plan de campagne du maréchal de Moltke. Souvent aussi il insiste, avec une parfaite bonne foi, sur l’importance des pertes qu’ont eu à subir les troupes allemandes, dans les combats même où leur succès a été le plus assuré. Il raconte notamment que, lorsqu’on apprit au grand état-major la victoire de Gravelotte, il fut seul à deviner combien cette victoire avait dû être meurtrière. « On soutenait autour de moi que nous devions avoir perdu environ 8 000 hommes ; et comme je me permis de dire que nous aurions à nous estimer heureux si nos pertes ne dépassaient pas 15 000 hommes, je me rappelle que mon observation fut assez mal accueillie. Et cependant les faits m’ont donné tristement raison, car cette seule journée nous a coûté plus de 20 000 soldats. »

Il semble d’ailleurs que le roi Guillaume n’ait guère partagé, au début de la campagne, les sentimens optimistes de son état-major. « Comme je prenais un jour la liberté de lui dire que les Français n’arriveraient pas à passer la frontière, et que si, par hasard, ils y arrivaient, ils ne tarderaient pas à devoir reculer, il eut un sourire et s’écria, en me frappant sur l’épaule : « Ah ! que vous voilà bien, vous autres jeunes gens ! Vous voyez tout couleur de rose ! »

M. de Verdy avait journellement l’occasion de s’entretenir avec le vieux roi, à qui il venait apporter, de la part du général de Moltke, toutes les nouvelles aussitôt reçues. C’est dans le train royal qu’il quitta Berlin, le 31 juillet, dans ce train désormais historique, dont il raconte, à son tour, l’émouvant passage à travers l’Allemagne. « De Berlin à Mayence, durant trente-sept heures, nous avançâmes au milieu d’une rumeur ininterrompue. Sur toute la ligne du chemin de fer, la foule s’était amassée, chantant la Wacht am Rhein et acclamant le souverain. Et ces chants et ces bruits, que nous entendions nuit et jour monter autour de nous, finirent par prendre si bien possession de nos oreilles que longtemps après la fin de notre voyage il nous sembla les entendre encore. »

M. de Verdy se demande, à propos de ce voyage, si le ministre de la guerre, en pareil cas, doit accompagner l’armée, ou s’il ne vaut pas mieux, au point de vue de l’organisation militaire, qu’il reste dans la capitale. « En 1870, dit-il, nous étions tous d’avis que la place du ministre de la guerre était à Berlin : et les réflexions que j’ai faites depuis à ce sujet, et l’expérience personnelle que j’ai acquise durant