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Nous ne méconnaissons pas les fautes qui ont été commises. Qu’elles l’aient été par la Guerre ou par la Marine, cela peut intéresser ces deux ministères, et ils paraissent, en effet, attacher le plus grand prix à se blanchir l’un au détriment de l’autre ; mais nous restons médiocrement soucieux de ce côté de la question. Il nous importe peu que les fautes principales viennent de celui-ci ou de celui-là, car nous n’en souffrons pas moins dans un cas que dans l’autre. A nos yeux, la faute originelle, et la plus lourde, est dans la composition même du corps expéditionnaire. On sait avec quelle imprudente légèreté il a été formé de pièces et de morceaux par le ministre de la Guerre de cette époque, M. le général Mercier. L’erreur a été reconnue lorsqu’il était déjà trop tard pour la réparer, et elle a pesé cruellement sur la suite de la campagne. La plupart des soldats qui ont été prélevés sur l’armée métropolitaine étaient trop jeunes et n’offraient pas assez de résistance pour supporter les fatigues d’une campagne à travers un pays aussi malsain que Madagascar. Si l’on avait eu besoin d’une démonstration nouvelle de la nécessité d’une armée coloniale pour faire de la politique et des expéditions coloniales, on l’aurait eue dans tout ce qui vient de se passer. L’armée métropolitaine, formée sur le principe du service obligatoire pour tous, et du service à courte durée, n’est faite, ni matériellement ni politiquement, pour les entreprises de ce genre. Cette vérité a été niée par M. le général Mercier, mais elle a été confirmée par les faits. On n’a pas oublié qu’au moment de la discussion du budget de la Guerre, un député, M. de Montebello, a repris la question, et a demandé au nouveau gouvernement et au nouveau ministre quelles étaient leurs intentions au sujet de l’armée coloniale. Il a énuméré avec beaucoup de précision et de vigueur les obstacles qui s’étaient opposés jusqu’alors à la constitution de cette armée, et il a prié M. le président du Conseil de dire nettement à la Chambre ce qu’il en pensait. M. Ribot a donné pleinement raison à M. de Montebello. Il a promis de déposer à très brève échéance un projet d’organisation de l’armée coloniale. Depuis lors nous n’avons rien vu venir. On annonce toujours que le projet est à l’étude, et il l’est, en effet, depuis une douzaine d’années, sinon davantage, sans avoir jamais pu aboutir. Ici encore, les meilleures volontés sont venues se briser contre les prétentions opposées et les divisions du ministère de la Guerre et du ministère de la Marine, et il ne s’est pas trouvé un gouvernement assez fort pour subordonner ces intérêts contraires à l’intérêt supérieur du pays. On annonce que, sur l’initiative de M. Cavaignac, rapporteur du budget de la Guerre, la commission du budget s’est emparée de la question. Ce n’est pas à cette commission qu’il appartient de la trancher, et au surplus la solution proposée par M. Cavaignac est bien loin de nous paraître la meilleure. Mais, de manière ou d’autre, il faut une solution, et nous savons gré à tous ceux qui le rappellent, — même mal à propos,