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dirions-nous, si on pouvait le rappeler mal à propos. Nous espérons bien qu’après l’expédition de Madagascar on attendra longtemps avant d’en entamer une autre; toutefois, avec un empire colonial aussi étendu que le nôtre, des conflits peuvent toujours se produire, tantôt sur un point, tantôt sur un autre, et il importe que nous ayons pour les vaincre l’outil approprié. N’y a-t-il pas quelque chose d’illogique et de contraire au bon sens à suivre la politique que nous suivons, sans en avoir créé au préalable les organes indispensables? Si l’on a cru tout faire en instituant un ministère des Colonies, on s’est bien trompé ; on n’a rien fait du tout ; il n’y a eu rien de changé en France, il n’y a eu qu’un ministre de plus. On a augmenté l’énergie des tentations qui s’exerçaient déjà avec trop de force sur une administration très peu maîtresse d’elle-même. Le jour même où le ministère a été créé, nous avons prévu Madagascar, — hoc erat in votis ! — et c’est peut-être pour cela que M. Chautemps, rapporteur du projet de loi sur l’expédition, est devenu presque aussitôt ministre des Colonies. Mais quant à l’armée coloniale, elle est restée plus profondément enfouie que jamais dans des limbes impénétrables. On aura plus tard beaucoup de peine à comprendre que, ayant donné une si grande et si rapide extension à notre politique au delà des mers, nous ayons négligé de la pourvoir des deux instrumens qui, seuls, pouvaient en assurer le succès, à savoir une armée coloniale et une loi sur les compagnies de colonisation. Le ministère des Colonies n’est qu’une façade derrière laquelle il n’y a rien, et qui a le tort de faire croire qu’il y a quelque chose.

Ceci n’est pas une digression. Il est certain à nos yeux que, si tous les soldats que nous avons envoyés à Madagascar avaient été des hommes faits, rompus à la fatigue et habitués à de rudes climats, il y aurait aujourd’hui moins de malades dans les hôpitaux, moins de morts sous la terre ou au fond des mers, et que la colonne qui est sur le point d’arriver à Tananarive serait plus résistante et plus imposante. Oui aurait pu croire, lorsque nous sommes partis quinze mille, — et il faut ajouter à ce nombre environ dix mille porteurs, — que quatre mille et quelques centaines d’hommes à peine seraient capables de partir d’Andriba pour marcher sur la capitale? Et combien seront-ils au moment d’y toucher? Oui, certes, les fautes ont été multipliées, sans quoi ce résultat serait inexplicable. On a parlé beaucoup du désordre qui a présidé au débarquement, et qui parait, en effet, avoir été extrême. L’histoire du wharf qu’on a été obligé de couper en deux, parce que les sondages faits pour l’établir en une seule jetée avaient été mal exécutés, est passée à l’état de légende. Quelques optimistes quand même assurent aujourd’hui qu’il a mieux valu avoir deux wharfs plus courts que d’en avoir eu un seul plus long. Mais ce qu’on ne peut nier, c’est que les chalans faisaient défaut pour le