Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/167

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le Congrès avait adopté une résolution destinée à régler la question pour le présent et pour l’avenir et qui demeura lettre morte. A Londres, le Congrès a ressassé le même débat, il a adopté la même mesure — en séance générale par vote de nationalité, à une énorme majorité : dix-huit nations contre la France et la Hongrie, anarchistes, chacune à une voix de majorité, l’Italie, partagée en deux camps égaux, et la Serbie, absente ou abstentionniste. Il a fini par remettre, de guerre lasse, le soin d’une solution à la commission d’organisation du prochain Congrès, en Allemagne. J’ai l’intime conviction que, quoi qu’on fasse, on ne viendra jamais à bout de la difficulté tant que, d’une part, l’assemblée n’aura pas renoncé à la séduisante fiction d’être un parlement de travail au lieu d’une convention de parti ; et tant qu’en outre les socialistes n’auront pas eu le courage de dépouiller la vieille défroque révolutionnaire.


IV

Ce courage, l’auront-ils ? Cela, au fond, dépend de la réponse qui sera donnée à la seconde grande question préalable que le Congrès de Londres a discutée à perte de vue, celle de l’action politique et de la conquête du pouvoir. Il serait aisé de montrer qu’après tout c’est sous une forme un peu différente le même procès toujours pendant entre l’anarchie et le socialisme, puisque si ce dernier a raison dans sa conception étatiste et anti-libertaire, ce serait s’infliger un démenti à soi-même et livrer délibérément l’avenir social à la bourgeoisie, radicale ou conservatrice, peu importe, que d’émigrer à l’intérieur et de se refuser à l’exercice du droit de suffrage et d’éligibilité, en d’autres termes, de la souveraineté du peuple. Toutefois, la question n’a jamais été posée assez nettement pour que l’on ait pu tirer des conséquences certaines sur l’opinion de tel ou tel groupe socialiste de ses principes généraux. Jadis, lors des Congrès constituans de la première Internationale, il aurait été impossible de prévoir à coup sûr l’attitude de tel ou tel membre du parti. Depuis un quart de siècle, il s’est passé assez de choses pour que la nature du problème ait changé du tout au tout. De lui plus que de tout autre on a pu dire : Solvitur ambulando. En effet, d’où venait principalement autrefois la défiance, souvent incurable, de socialistes pourtant très convaincus de la nécessité de l’Etat et partisans de sa constante intervention dans le domaine économique, si ce n’est du fait que l’action politique impliquait une espèce d’abdication au profit de partis essentiellement bourgeois ? Avant que la démocratie