Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cher, puisque le prix du transport majore d’environ 25 pour 100 le prix des marchandises rendues dans ces deux localités, il est bien évident que nulle maison européenne ne pourra lutter sérieusement contre un traitant comme Bénieh Kwamieh, roi de Bettié et faux « ami de la France », à qui 200 esclaves convoient, sans autre dépense que leur nourriture, toutes les provisions qu’il vient acheter à Grand-Bassam.

Enfin l’immigration européenne se trouvera dans une certaine mesure contrariée par la nature même de l’Européen. Nous n’effleurerons même pas la question de moralité. Etant donné l’effort surhumain que doit faire le Français pour s’expatrier, il est naturel de croire que, dans le premier flot des colons ou des prétendus tels, se trouve une forte proportion de gens ayant de bonnes raisons de s’exiler, pour tout dire, d’aventuriers désireux d’oubli. La Côte d’Ivoire n’échappera pas à cette commune destinée de toutes nos possessions d’outre-mer. Mais au moins ces émigrans forcés auront-ils déjà surmonté la répulsion première que paraît inspirer dans le public le climat de la Guinée. Combien d’autres, hésitant à partir, se verront définitivement retenus par les larmes de leur famille, par ces appréhensions plus ou moins justifiées ! Il est bien certain que la Côte d’Ivoire ne saurait prétendre à une patente de santé aussi brillante que la mère patrie ; cependant les cent Européens qui y sont disséminés actuellement, y vivent, et le Dahomey, dans des conditions de climat identiques, donne asile également, sans mortalité excessive, à un certain nombre de nos Compatriotes. La côte de Guinée ne mérite donc pas, en général, le surnom macabre de « pays de la mort », land of the death, que certains auteurs anglais se sont trop pressés de lui donner. Au surplus, convient-il naturellement de suivre certaines prescriptions à l’observance scrupuleuse desquelles est subordonnée toute la santé des Européens. C’est ainsi que l’on ne saurait trop préconiser, recommander instamment la plus absolue sobriété, la privation complète de tous les alcools, l’abstention rigoureuse de tous les apéritifs, digestifs, cocktails et autres.

Il faut malheureusement avouer que l’abus horrible du gin chez les indigènes trouve souvent sa contre-partie dans l’intempérance des blancs, cause des sept dixièmes des décès enregistrés parmi ceux-ci. Toutes les affections du foie sont engendrées ou entretenues par ces habitudes, déplorables dans les pays chauds : ainsi s’explique-t-on que la mortalité frappe davantage sur les Anglais, plus sujets que d’autres aux excès de boisson. En même temps que la sobriété, un sage exercice est nécessaire au jeu de l’organisme, au développement rationnel et à l’équilibre de toutes les