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européenne, de beaucoup la plus familière aux noirs, soit l’anglais, à cause de son usage plus répandu, plus commercial, et de sa syntaxe plus facile, on pourra obtenir avec le temps la prépondérance du français : l’action persévérante des missionnaires récemment établis à Grand-Bassam et à Memni, dans le pays de Potou, y contribuera largement. Les écoles du gouvernement de Grand-Bassam. de Mouoso, d’Assinie, sont bien suivies, et les petits indigènes ne paraissent pas insensibles à l’honneur de « parler blanc ».

Passant rapidement sur l’aide efficace que doit apporter à l’œuvre de colonisation l’extension du réseau télégraphique et téléphonique qui relie déjà Assinie à Lahou en passant par Grand-Bassam, il convient de signaler le concours précieux que pourra apporter à l’œuvre générale, si l’on sait s’appuyer sur elle et la faire habilement servir à nos desseins, une race indigène rusée et commerçante, intellectuellement supérieure à celles au milieu desquelles elle a été appelée à se développer, les Apolloniens, originaires du royaume noir d’Apollonie (Côte-d’Or), qui ont pu être surnommés avec raison les Juifs de Guinée.

D’une réelle aptitude aux affaires, retors, actifs, entreprenans, ils se sont disséminés, pour ne pas se gêner entre eux, sur presque toute la surface de la Côte d’Ivoire, exploitant l’autochtone dans la mesure du possible, assez habiles cependant pour l’écorcher sans le faire crier. Lorsque le Baoulé fut ouvert à l’influence française, un millier d’entre eux y monta en même temps pour se livrer à l’exploitation de l’or. Depuis longtemps ce pays leur était fermé, et ils ne guettaient qu’une occasion de s’introduire dans la place. Ils y sont installés aujourd’hui et y prospèrent. Leur qualité d’étrangers au sol permet d’exercer sur eux un contrôle rigoureux, et la menace de l’expulsion doit servir aussi bien à garantir leur collaboration qu’à nous préserver de leurs écarts.

Le rôle des administrateurs surtout est capital en matière de développement colonial : encore gagnerait-il à être étendu. Le chef de cercle, semble-t-il, ne doit pas se borner à exercer l’action politique, à assurer l’exécution des ordres on des vues du pouvoir central, à représenter la France ; il doit être surtout un agent commercial général au service de tous. Il doit, par un contact incessant avec l’élément indigène, par une information de tous les instans, par d’habiles enquêtes, être en mesure de fournir tous les renseignemens possibles d’ordre industriel, agricole ou commercial sur le cercle qu’il administre et qu’il a le devoir de connaître à fond. Dans un tel portrait, tous ces fonctionnaires peuvent-ils loyalement se reconnaître ? N’en existe-t-il pas qui,