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acteur principal, abandonné de ceux qui l’avaient aidé, et les remplaçant tant bien que mal, continua à faire les gestes. On disait de l’un qu’il chantait la tragédie (cantare tragœdiam), et de l’autre qu’il la dansait (saltare tragœdiam)[1]. Le premier se trouva créer une sorte de draine lyrique, qui, par certains côtés, devait ressembler à notre opéra ; quant au second, au saltator, on verra qu’il donna naissance à la pantomime.

La vieille tragédie a-t-elle survécu à cette dissolution de ses parties ? Voilà une de ces questions dont je disais tout à l’heure qu’elle est loin d’être définitivement éclaircie. Ce n’est pas ici le lieu de la traiter ; contentons-nous de remarquer que, depuis Sénèque, qui travaillait pour les lectures publiques, il ne paraît pas s’être produit d’œuvre tragique nouvelle de quelque importance. Il est vrai qu’on pouvait reprendre les tragédies anciennes, mais ce ne devait être que par exception, et seulement sur les théâtres de Rome ; il n’est guère vraisemblable que les théâtres de province, et par exemple celui de Dougga, aient jamais vu représenter quelque ouvrage d’Attius ou de Varius. Un peut donc dire d’une manière générale que l’ancienne tragédie y fut remplacée par les genres nouveaux, qui, comme on vient de le montrer, étaient sortis du canticum, par la tragédie lyrique, c’est-à-dire le canticum chanté, qui fut la passion de l’empereur Néron et son triomphe, et surtout par la pantomime qui naquit du canticum dansé.

La pantomime romaine n’était pas, comme la nôtre, une action interprétée par toute une troupe de danseurs et de danseuses et accompagnée par un orchestre instrumental. Un seul acteur y paraissait sur la scène[2], l’ancien acteur principal de la tragédie. Il était assisté d’un chœur de chanteurs et de musiciens, qui probablement occupaient l’orchestre. Le chœur chantait le canticum, et l’acteur en traduisait les paroles par ses gestes. C’est ce qui est assez bien expliqué dans une petite pièce de l’Anthologie. « Le pantomime, y est-il dit, en arrivant sur la scène, salue le peuple, et lui annonce qu’il va parler avec la main. Aussitôt que le chœur se fait entendre, ce que les chanteurs expriment par la voix, il l’interprète par ses gestes ; il lutte, il joue, il aime, il s’emporte, il est calme, il s’agite ; il donne aux sentimens plus de clarté et de relief, il revêt tout d’une merveilleuse beauté, il parle avec tout son corps. Quel prodige qu’un art qui, pendant que la bouche

  1. Il ne faut pas oublier que la danse des anciens ne consistait pas, comme la nôtre, en une simple agitation des pieds. Ils appelaient saltatio un ensemble de mouvemens et d’attitudes de toutes les parties du corps, et l’on peut dire qu’ils dansaient moins avec les pieds qu’avec les bras.
  2. Ou, s’il en paraissait d’autres, c’étaient des comparses sans importance, qui ne restaient qu’un moment sur la scène.