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reste muette, donne la parole à tous les membres ! » Outre le talent des acteurs, il y a d’autres raisons qui expliquent le succès prodigieux de la pantomime. Elle était, on vient de le voir, la traduction, par les gestes de la main et les attitudes du corps, d’un monologue passionné. Elle ne représentait donc pas une action entière, mais seulement certains momens de l’action, les plus vifs, les plus dramatiques[1]. Il s’ensuit qu’elle devait tenir l’attention des spectateurs toujours éveillée et exciter sans cesse chez eux des émotions violentes. C’est ce qui plaisait surtout à un public romain, et voilà pourquoi elle s’est maintenue au théâtre jusqu’à la fin de l’empire.

Pendant que la tragédie était remplacée par la pantomime, le mime héritait de la comédie. Un grammairien latin a défini le mime : « L’imitation des actions communes et des personnages vulgaires » ; et rien n’est plus juste que cette définition. Le mime est avant tout une imitation ; il a commencé sur les places publiques, où quelques saltimbanques amusaient : les oisifs en contrefaisant des types populaires. Quand du forum il a passé au théâtre, il a gardé ses anciennes habitudes ; il imite toujours, et d’une manière matérielle et grossière. Les pièces qu’on fait pour lui sont simples et courtes : point d’intrigue compliquée, quelques scènes prises dans la vie réelle, qui donnent aux acteurs l’occasion de montrer leur talent burlesque. Comme dans les parades de nos foires, les soufflets, les coups de poing et les coups de pied y tiennent une grande place. On avait même créé un personnage exprès pour les recevoir, c’était le jocrisse de la troupe, stupidus gregis. Nous avons conservé le souvenir de plusieurs de ces pièces. Dans lune, on mettait un voleur aux prises avec la police : c’est un sujet toujours populaire. Le voleur, qui s’appelait Lauréolus, jouait toute sorte de bons tours à ceux qui le poursuivaient ; mais comme il fallait à Rome que le dernier mot restât à l’autorité, on finissait par le prendre et le crucifier. Le Lauréolus se maintint longtemps à la scène. A l’époque de Domitien on imagina, pour en rafraîchir un peu l’intérêt, de substituer à l’acteur qui jouait le rôle principal un condamné qu’on mettait véritablement en croix ; ce dénouement en action paraît avoir amusé beaucoup le public. Un autre sujet de plaisanteries fort ordinaire chez les mimes, c’étaient les infortunes conjugales. Pendant longtemps le théâtre, respectant le mariage romain, n’avait

  1. Nous savons, par exemple, par les titres que portaient ces sortes de pièces, qu’on n’y jouait pas un Œdipe, un Oreste, un Hercule, mais seulement Œdipe aveugle, ou Oreste meurtrier de sa mère, ou Hercule furieux ; c’est-à-dire les plaintes d’Œdipe, quand il vient de s’arracher les yeux, ou d’Oreste après la mort de Clytemnestre, ou enfin la colère d’Hercule quand il va tuer sa femme et ses enfans.