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la Crète ; après la Crète, la Macédoine. Espérons que l’apaisement de l’insurrection crétoise arrêtera l’insurrection macédonienne ; mais à coup sûr la première n’aurait pas pu se prolonger longtemps encore sans faire prendre à la seconde des proportions redoutables. L’esprit d’imitation souffle partout, et si la Crète venait à être détachée de l’empire, la Macédoine, et vraisemblablement d’autres provinces encore, demanderaient aussitôt à s’en détacher également. L’Europe doit donc s’appliquer à décourager toute velléité de sécession, et à maintenir, avec l’intégrité de l’empire, l’exercice de la souveraineté du sultan dans chacune de ses provinces. Tout ce qui porte atteinte à cette souveraineté est un mal. Voilà ce qu’il ne faut jamais oublier, même dans ces momens où la conscience se trouble et où l’esprit hésite et s’obscurcit. C’est le propre des politiques faibles de suivre au hasard le cours des incidens, de s’abandonner aux impressions du moment, de s’y laisser entraîner et égarer ; les hommes d’État dignes de ce nom, après avoir reconnu les intérêts généraux de leurs pays et de l’Europe, y subordonnent tout le reste et ne s’en laissent plus détourner. Mais en même temps que l’Europe doit s’appliquer au maintien de l’empire, tel qu’il est aujourd’hui composé et constitué, elle a le devoir de faire accepter par le sultan les réformes devenues nécessaires et d’en assurer l’exécution. Ce n’est pas la plus facile partie de sa tâche. D’abord la nature, le caractère même de ces réformes, variables à l’infini suivant qu’on passe d’une province à l’autre, est toujours difficile à déterminer. Puis, il faut exercer sur le Sultan une pression suffisante pour les lui imposer, sans pourtant porter atteinte à son prestige sur ses peuples. Enfin, après avoir réussi dans ce premier effort, on n’a encore rien fait si on ne continue pas de veiller au respect des engagemens contractés. Le Sultan, en effet, dans les momens les plus critiques, consent quelquefois aux réformes avec une apparente bonne grâce ; mais l’expérience a prouvé que le danger une fois passé, lorsque le ciel est rasséréné, lorsque l’orage est calmé, il revient à ses anciennes habitudes, à ses vieux procédés de gouvernement et d’administration. C’est en vain, comme nous le disions il y a quinze jours, que l’Europe a donné sa garantie nominale à tel ou tel arrangement ; sa garantie reste lettre morte, si elle n’apporte pas une attention constante à en assurer la réalité et l’efficacité. Le sultan est remarquablement habile à profiter des distractions des puissances, distractions inévitables, qui se produisent un peu plus tôt, un peu plus tard, et qui permettent à un gouvernement toujours en éveil de reprendre sournoisement les concessions faites et de reconquérir le terrain perdu. Tels sont les dangers contre lesquels il convient de réagir. Nous ne voyons pour cela d’autre moyen que d’user, en vue de la conservation de l’œuvre faite, des mêmes procédés qui ont servi à la faire, et qui, après plusieurs semaines de tâtonnemens, d’hési-