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4 fr. 50 ; un maître portefaix, de 30 à 50 francs ; un portefaix simple, de la corporation, 12 francs. Il est vrai qu’ils sont probes. — Ils sont ici de quinze à dix-huit cents, formant l’aristocratie populaire. En 1848, ils ont empêché la ville d’être pillée par les ouvriers piémontais et toute la canaille qui y pullule. On a eu peur de leurs poings. — Un maître portefaix, représentant du peuple en 1848, a donné sa démission au bout de trois mois, ne voulant plus rien avoir de commun avec les « bavards et intrigans » qui, d’après lui, composaient l’Assemblée.


La Provence

J’ai bien vu cette année la Provence dans sa sécheresse, il n’a pas plu depuis quatre mois. C’est une Italie, une sœur de la Grèce, de l’Espagne ; cela s’est vu au XIIe siècle à sa langue, à son génie, à sa littérature. — A Lyon, le contraste commence, avec les teintes vertes, le brouillard, les fleuves gonflés ou abondans, la pluie qui depuis hier noie les rues, les fabriques d’ouvriers sérieux, laborieux, entassés comme à Londres.

Hors de Marseille et de la mer, cette Provence est lugubre à voir ; on dirait d’un pays brûlé, usé, rongé jusqu’à l’os par une civilisation détruite. Point d’arbres, sauf des mûriers espacés, des oliviers souffreteux, parmi des myriades de cailloux et des rocs nus, desséchés, blanchâtres ; parfois un quart de lieue de côte démantelée et stérile ; à l’horizon, des hauteurs dégarnies allongeant les unes au-dessus des autres leurs squelettes de pierre ; l’homme a tout mangé, il ne reste rien de vivant ; de misérables herbes épineuses, de petites broussailles vivaces se blottissent dans les creux, sur les escarpemens. La terre elle-même manque, elle a été grattée et ratissée ; les forêts une fois détruites, les rivières sont devenues torrens et l’ont raclée, emportant avec elles tout ce qui alimente la vie. Il ne reste plus que la charpente primitive du sol et le terrible soleil. En avançant au-delà de Tarascon, on trouve des lits de rivières sans une goutte d’eau, immenses épanchemens de cailloux et de sable au-dessus desquels passe un pont attendant les crues de l’hiver ; puis sur les rives des villes encore à demi romaines, gardant des colonnes, des théâtres, des temples, des cirques, parfois montrant dans leurs vieilles bâtisses féodales des pierres romaines, des sculptures antiques employées comme moellons, sorte d’habit disparate où le vieux manteau d’un peuple détruit fournit un haillon et bouche un trou. — Deux ruines se sont faites ici, celle de la grande Rome et de la jeune Provence.