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III

Et maintenant, voici que le tsar et la tsarine, au terme de leur voyage, vont débarquer sur la terre de France. Comment allons-nous les recevoir ? Notre souci, à nous, Français, le souci du moins du grand nombre d’entre nous, ce n’est pas la politique, ce ne sont ni les négociations entre les puissances, ni les combinaisons diplomatiques. L’heure a beau être grave pour l’Europe, la situation traditionnelle et l’honneur même de la France ont beau être en jeu, malgré nous, là-bas, sur les plages du Levant, la plupart des Français n’en ont cure ; l’intérêt pour eux est ailleurs. La grande préoccupation du public est la réception impériale ; il s’inquiète peu de savoir si, entre la France et la Russie, il existe un traité, une convention formelle, des arrangemens réciproques. Politique, diplomatie, traités, tout s’efface devant le programme de l’entrée du tsar à Paris ; rien n’existe plus en regard de la décoration de nos rues et des préparatifs de nos fêtes.

Le grand enfant qu’est demeuré le peuple, l’impersonnel souverain à qui le tsar autocrate daigne rendre visite, n’a de pensée que pour l’accueil à faire à son hôte impérial. Qui donc disait que le travers des cours et le vice des monarchies était de subordonner les réalités de la politique au faste du cérémonial ? La France républicaine fait songer à une maîtresse de maison qui donnerait, pour la première fois, une soirée à un invité de marque. La réception du jeune couple impérial a mis toutes les imaginations en branle. De la magnificence des fêtes, de la splendeur de la décoration de Paris, nul ne doute ; nous nous fions, pour cela, à l’ingéniosité de nos architectes et au goût de nos artistes. Nous comptons bien que l’éclat de nos pompes républicaines va faire rentrer dans l’ombre tout le fastueux attirail et la froide solennité des vieilles cours. Faut-il l’avouer ? le grand souci des gens sérieux est que nous nous montrions corrects, qu’aucun manquement à l’étiquette ne vienne effaroucher nos hôtes. On tient à prouver au monde que, pour avoir renversé rois et empereurs, la France n’en est pas moins respectueuse des règles du protocole. Or, l’on m’affirme que, à cet égard, les connaisseurs ne sont pas sans appréhensions. Le puis-je confesser ? si légitimes qu’elles soient, de semblables préoccupations me semblent avoir quelque chose d’un peu mesquin et enfantin. Il y aurait, pour nous, à l’heure actuelle, en présence même du tsar, de plus graves questions que celle du cérémonial. Il nous répugne de voir, aux yeux du monde, le directeur du protocole devenir le plus important personnage de l’État. Cela risque de donner, à la République