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française, un faux air de parvenue, embarrassée de recevoir le couple impérial qui l’honore de sa visite. Or, la République ici représente la France, et si la République est jeune, la France est vieille, la France n’est pas une parvenue, même en regard de l’héritier de la couronne de Monomaque.

Nous ne sommes pas, quant à nous, des Français qui se persuadent que, par le seul fait d’être en république, la France est au-dessus des autres nations européennes, comme ayant atteint un degré supérieur dans la série des organismes politiques ; mais dès lors que nous sommes en république, il nous paraît que ce qui sied le mieux à notre gouvernement, c’est encore ce que nous vantaient autrefois les républicains, la simplicité républicaine. Aussi ne sommes-nous pas de ceux qui regrettent que le président de la République n’ait, pour se présenter devant le tsar, qu’un vulgaire habit noir, ou que nos ministres aient laissé tomber l’usage des uniformes chamarrés d’or. Quand bien même M. Faure se fût affublé, pour la circonstance, d’un costume à la Barras, avec grande plume blanche et manteau de soie, il n’eût pu rendre à notre hôte les mêmes honneurs que les autres chefs d’État ; nous ne le voyons pas, à l’imitation de l’empereur François-Joseph ou de l’empereur Guillaume, défiler à la tête de nos régimens, devant le tsar, en le saluant de l’épée. Il faut en prendre notre parti, et laisser les pompes monarchiques aux monarchies, — à moins que l’engouement franco-russe n’aille jusqu’à nous faire regretter d’être en république. Quant aux minuties du code de l’étiquette, nous pouvons nous rassurer ; les Russes sont gens d’esprit, et quand le tsar aurait à sourire de quelque infraction au protocole, ce n’est pas cela qui mettrait en péril l’alliance.

La vraie réception ne sera pas du reste celle de l’Elysée et de la cour présidentielle ; ce sera celle des boulevards et de la rue. Là aussi sera le spectacle. Le tsar reçu par le peuple, voilà ce qui fera l’originalité inoubliable de la visite à Paris. Le peuple le sait bien, et en fêtant ses hôtes, il semble, lui aussi, tenir à être correct, — ou l’on s’en préoccupe pour lui. On a entendu poser de graves questions. De quel drapeau convient-il de pavoiser nos maisons ? Est-ce du drapeau national russe aux trois couleurs horizontales, ou de l’étendard impérial à fond jaune et à aigle noire ? Certains conseillers des foules semblent croire qu’arborer ce dernier, réservé au tsar, serait tout compromettre. J’incline, humblement, à penser que les yeux du tsar et de la tsarine ne seront pas si faciles à offusquer, et que drapeau jaune ou drapeau tricolore, ils ne voudront voir dans les couleurs russes qu’un hommage de leurs hôtes. De même, autre question fort controversée, de quels vivats faut-il saluer le jeune souverain ? doit-on