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un métier peu illustre, comme celui de portier, ou exigeant un minimum de compétence, comme celui de cuisinier, vint en partage à des bourgeois qui se substituèrent des remplaçans quelconques. Mieux valait, en pareil cas, se rendre mutuellement sa liberté. C’est ce que firent, du XIIIe au XIVe siècle, des conventions intervenues pour détruire ce que les conventions antérieures avaient cru organiser à jamais. Un « queu » fieffé se libère, en 1524, par une rente en argent, de l’office dont il est encore tenu.

Aucune époque ne s’est plus efforcée de combiner entre les individus des rapports immuables ; aucune n’a été ensuite plus embarrassée de son œuvre et n’a plus souffert pour l’anéantir. Les prix de toutes choses étant dans un mouvement perpétuel, ces marchés permanens qui avaient satisfait, le jour de leur conclusion, l’intérêt réciproque des deux parties, cessaient, au bout de très peu de temps de plaire à l’une ou à l’autre. Tantôt le maître estimait payer trop cher, tantôt le travailleur se jugeait payé trop bon marché. Le travail fieffé était, autant qu’on en peut juger, très largement rémunéré au XIIIe siècle ; non pas que les particuliers de ce temps fussent plus généreux que ceux d’aujourd’hui, mais simplement parce qu’ils en avaient fixé, à l’origine, le prix invariable en une monnaie — la terre — qui avait, depuis, augmenté de valeur. Un terrassier qui jouit d’un fief de 7 hectares et demi, en 1270, doit, comme redevance, labourer, ensemencer de blé et moissonner 54 ares de terre, faucher et engranger le foin de 27 ares de pré. Au prix actuel ces diverses façons agricoles représentent une centaine de francs, si le cultivateur fournit la semence ; tandis que le revenu de 7 hectares et demi, par lequel ce travail est jadis rétribué, correspond présentement à un chiffre moyen de 375 francs. L’écart entre la valeur de la main-d’œuvre et celle de la terre était donc ici, au XIIIe siècle, trois fois moindre qu’il ne l’est de nos jours.

Ces inféodations s’étant faites librement, il avait fallu, pour que le seigneur et le vilain tombassent d’accord, qu’à une heure donnée la possession des 7 hectares et demi fût aussi avantageuse à l’un que l’était à l’autre l’exploitation des 80 ares en blé et en herbe. C’était le résultat d’une situation économique qui s’imposait. On ne saurait en faire honneur politiquement au régime féodal, pas plus qu’on ne serait fondé à louer la générosité du gouvernement des États-Unis d’avoir vendu, depuis cinquante ans, pour 10 francs l’hectare, nombre de surfaces fertiles aux colons européens. Seulement il n’est pas niable que la condition de l’ouvrier fieffé du XIIIe siècle ait été avantageuse et que son salaire, évalué en argent, ait à cette époque singulièrement progressé.