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dans le commerce, — le gain annuel du vilain correspond au revenu annuel de 8 hectares, puis au revenu de 19 hectares (1326-1350) ; enfin au XVe siècle, le journalier est aussi riche avec sa paie que le propriétaire oisif de 32 hectares. Cet état de choses, il est vrai, ne dure pas longtemps ; le travailleur ne gagne déjà plus à l’avènement de Louis XII que l’intérêt de 19 hectares, puis de 15 hectares vers 1550, enfin de 9 hectares et demi en 1600. Quelle qu’ait été, depuis cette époque jusqu’à nos jours, où l’hectare rapporte 50 francs, la hausse du sol cultivé, le salaire de notre journalier actuel à 750 francs égale l’intérêt de 15 hectares, et le travail par conséquent est plus apprécié, par rapport à la terre, qu’il n’était il y a 300 ans.

La dépression des gages au XVIe siècle ne se produit pas brusquement ; elle n’est le résultat d’aucune catastrophe, d’aucun krack dans la fortune publique ; au contraire elle s’accentue en raison inverse des progrès de cette fortune et procède insensiblement comme une mer qui se retire. L’avilissement des salaires atteint an même degré presque toutes les professions : le domestique de ferme, au lieu de 306 francs en 1500, ne reçoit plus en 1600 que 150 francs ; le domestique de ville ou d’intérieur, au lieu de 282 francs, n’en touche plus que 120. Tous ces chiffres sont formulés, ainsi qu’on l’a expliqué ci-dessus, d’après le pouvoir d’achat de la monnaie. Nominalement, intrinsèquement, le prix du travail s’élève à la vérité de 33 pour 100, mais le prix de la vie augmente de 200 pour 100.

Les servantes qui, de 1476 à 1525, avaient 138 francs et qui, à ce taux, étaient beaucoup moins payées que celles d’aujourd’hui, dont le salaire est de 210 et de 300 francs selon qu’elles sont employées à la campagne ou dans les villes, les servantes n’ont plus en 1600 que 73 francs. La fille de ferme et la bonne à tout faire sont donc, au point de vue des gages, sans avoir fomenté aucune grève, les privilégiées de la civilisation moderne, celles qui en ont le plus profité. Du commencement à la fin du XVIe siècle, la journalière nourrie est passée de 1 fr. 20 à 50 centimes. Si elles se nourrissent à leurs frais, les femmes employées aux travaux champêtres n’obtiennent plus que 1 fr. 07 en moyenne, au lieu de 1 fr. 92. Pour prétendre davantage il faut des capacités particulières : une ouvrière en tapisserie se fera 1 fr. 75 à Orléans ; près de Nancy on donnera 1 fr. 60 à une vigneronne.

Ce n’est pas que les métiers ruraux aient été, plus que les bras du simple manœuvre, épargnés par la crise nouvelle. Les vignerons, dont le salaire moyen est, en 1600, de 2 fr. 50 sans nourriture, étaient payés, cinquante ans avant, 3 fr. 84. Ils avaient