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Les ouvriers réunis en corporation, ai-je dit, n’étaient ni mieux ni plus mal rémunérés que ceux des professions libres. Rien de moins uniforme en effet que l’état de la France sous ce rapport ; à la campagne le travail demeura, jusqu’à la fin de la monarchie, aussi indépendant que de nos jours ; on voyait au XVe siècle des femmes employées comme maçons. Beaucoup de villes, et non des moins importantes, furent à cet égard semblables aux simples villages : Saint-Malo n’avait aucun corps de métier « juré », c’est-à-dire exclusif. Lyon, qui en avait eu jusqu’alors, fut, par lettres patentes de 1606, affranchie à jamais des maîtrises. Le contraire arriva plus fréquemment ; l’on transforma aux XVIe et XVIIe siècles, en corporations fermées, bien des métiers exercés au moyen âge sans aucune entrave. Le maire de Saintes érigea en 1600 la pharmacie en maîtrise ; le premier venu tenait auparavant, dans cette localité, boutique d’apothicaire. A Nîmes l’industrie était à peu près libre ; on n’y voyait que quatre ou cinq maîtrises au XVIe siècle ; de 1550 à 1640 il y fut créé trois corporations nouvelles. Durant le même laps de temps il en est créé vingt-huit à Bourges ; ce qui prouve qu’il n’en devait pas exister beaucoup avant. A Paris même, chef-lieu de la réglementation, où elle était le plus minutieusement usitée, bon nombre des associations que l’on voit au XVIIIe siècle avaient une origine récente. Il y eut ailleurs des confréries qui surgirent et disparurent dans la suite des temps, sans laisser de trace, après avoir passé tour à tour pour utiles et pour gênantes.

Si le régime corporatif avait eu les conséquences que l’on suppose, les ouvriers de métier eussent été autrefois beaucoup mieux payés que les journaliers ; et ils l’eussent été beaucoup mieux dans les villes où leur privilège les eût rendus maîtres des prix du travail que dans les localités où la concurrence était ouverte à tout le monde. Or rien de tout cela ne s’est produit. On évalue en 1896 le salaire du journalier non nourri à 2 fr. 50, celui du maçon à 3 fr. 40, celui du charpentier à 3 fr. 70, celui du couvreur à 3 fr. 50. Le maçon gagne donc un tiers plus que le journalier ; le journalier gagne les trois quarts du maçon. Eh bien ! cette proportion a été identique depuis six siècles. Malgré leurs variations respectives, qui élèvent tantôt l’un de ces salaires, tantôt l’autre, on peut les considérer comme demeurant en moyenne dans le rapport de 3 à 4.

Pour les maçons, du XIIIe au XVIe siècle, une observation est nécessaire : le mot de « maître-maçon » n’a pas alors la même signification qu’aujourd’hui. Il s’applique souvent à un entrepreneur de maçonnerie, à moitié architecte. Il s’ensuit que sa rémunération ne peut servir de base aux salaires des simples