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compagnons. Les maîtres sont des patrons, propriétaires d’un matériel dont la location est comprise dans leur salaire individuel. Il faut prendre garde aussi que parfois le terme « maçon » désigne un maître et parfois un compagnon, que le mot « aide-maçon » s’employait, ou pour un ouvrier véritable, ou pour un simple gâcheur de mortier, ou même pour le premier journalier venu, montant des moellons dans sa hotte. De tout cela résulte quelque confusion, parce que, dans ces essais de statistiques rétrospectives, on marche à tâtons, sans avoir pour guide aucune de ces vastes enquêtes, de ces innombrables tarifs, où les administrations modernes ont condensé les renseignemens et établi des classifications multiples. On sait qu’à Paris, aujourd’hui, la journée de ceux qui collaborent à la maçonnerie d’un édifice varie de 5 francs, pour les garçons, à 12 fr. 50 pour les sculpteurs, en suivant une échelle ascendante depuis les « limousins » jusqu’aux « bardeurs » et aux « ravaleurs ». En province aussi et dans les campagnes, il y a des maçons à 5 francs et à 2 fr. 50, dont les derniers ne sont que simples manœuvres.

Aux XIIIe et XIVe siècles on rencontre des tailleurs de pierre parisiens payés 6 fr. 10 par jour et des « serviteurs de maçons » payés 2 francs, voire des apprentis gagés à 1 fr. 20 par jour. Dans la première moitié du XVe siècle, en pleine crise, il se produisit le même phénomène que pour le salaire des journaliers : on paie les bras plus cher parce qu’ils sont plus rares. Et ce phénomène se produit, pour les ouvriers de métier, avec plus d’intensité parce qu’il était moins aisé de parer à cette pénurie, et de confier à d’autres une besogne qui exigeait un certain savoir-faire. On vit ainsi, au milieu de la guerre de Cent ans, des maçons gagner jusqu’à 8 fr. 50 à Orléans, en 1429, au lendemain du siège que Jeanne d’Arc avait fait lever, jusqu’à 9 fr. 50 à Dieppe, jusqu’à 11 fr. 25 à Perpignan. Et, où l’on peut observer que seule la loi de l’offre et de la demande, et non les combinaisons factices des associations ouvrières, amène ces fluctuations, c’est quand on voit le maçon, payé 6 francs à Rouen, ville corporative, et 7 fr. 60 à Alihermont, commune rurale de la Seine-Inférieure dont les métiers sont accessibles à tout venant. En ce temps-là le maçon ne gagnait que 4 fr. 60 en Angleterre. Ce furent aussi les prix des journées du « maître-des-œuvres de maçonnerie », dans les villes que je citais tout à l’heure, aussitôt que l’état normal eut reparu.

Le salaire moyen des ouvriers maçons, pour les différentes provinces et pour l’ensemble de l’année, avait été de 4 francs au XIIIe siècle ; il s’abaisse à 3 fr. 45 de 1350 à 1300 et se maintient à ce chiffre pendant les vingt-cinq années suivantes. Puis, de