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genèse de la politique et de la fortune du futur prince de Bismarck.

Il ne dissimulait à son gouvernement aucune de ses intempérances de langage ou de conduite, aucun de ses efforts, s’employant, avec une habileté insinuante, à en justifier l’objet ; sa correspondance officielle en fait foi et nous le montre constamment désireux de rallier à ses vues son ministre et son souverain. Il ne se laissait pas totalement absorber par la lutte personnelle qu’il avait engagée au sein de la Diète ; il signalait à son gouvernement les avantages qu’on pouvait tirer et les périls qu’on devait redouter de l’état de l’Europe à cette époque, des relations existantes ou pouvant se nouer entre les grandes puissances ; il ne recula pas devant la témérité de recommander une alliance avec la France impériale, suggestion qui risquait, il le savait bien, d’être envisagée comme une effroyable hérésie politique à la cour de Potsdam. Dans deux rapports longuement motivés, il examina cette éventualité avec une entière franchise, avec une abondance d’argumens témoignant du prix qu’il attachait à cette combinaison diplomatique. Nous n’en dirons qu’un mot. Allant au-devant d’une objection qu’il était aisé de prévoir : « On ne saurait voir, dit-il, une cause d’éloignement dans l’origine de Napoléon III. L’origine de la maison de Suède est de date plus récente et elle n’a pas empêché des cours allemandes de nouer des alliances avec celle de Stockholm. Faut-il s’arrêter, ajoute-t-il, au souvenir des guerres du premier empire ? Non assurément. Les descendans légitimes des trônes de leurs aïeux en ont fait d’aussi iniques. »

Il n’ignorait pas qu’il s’adressait à un prince réfractaire, par son éducation et par son caractère, aux entreprises audacieuses ; mais la santé du roi était fort ébranlée ; il pressentait l’avènement prochain de son successeur et il se persuadait que Guillaume Ier serait plus accessible aux résolutions énergiques. Nous n’avons pas à dire qu’il ne s’est nullement abusé. Pour lui prouver qu’il était loin de lui déplaire par la nouveauté de ses conceptions, le futur successeur de Frédéric-Guillaume IV, n’étant encore que régent du royaume, lui confia le soin de le représenter en Russie où ils espéraient, tous deux, trouver un terrain plus propice à leurs vues communes que celui de Francfort.


V

Accrédité en 1858 à Saint-Pétersbourg, M. de Bismarck y fit étalage de ses opinions, sachant bien qu’elles ne pouvaient offenser ses interlocuteurs. Par sa conduite pendant la guerre d’Orient et au congrès de Paris en 1856, le cabinet de Vienne avait