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« désormais et pour toujours à l’avenir une alliance et une amitié durable et fidèle, une union et une correspondance étroite entre le Roy Très Chrétien, le Tsar de Moscovie, leurs héritiers et successeurs. » Le projet russe, assez différent dans les termes, et dont la rédaction provoquait de la part du maréchal d’Huxelles de nombreuses observations, tendait cependant au même but, et les choses paraissaient de prime abord devoir marcher sans encombre. « Si nous n’avançons pas beaucoup, écrivait Tessé au sortir d’une troisième conférence[1], il semble au moins que nous ne reculons pas, de manière que dans cette affaire-ci, qui peut-être n’en a jamais eu de pareille, à force de s’entendre (car rien n’approche de l’embarras de traiter par truchement), j’ai quelque lieu de croire et d’espérer que Son Altesse Royale trouvera quelque avantage dans tout ceci. » Et dans une autre lettre : « Je crains que vous ne trouviez que nous allons peut-être plus vite que vous ne voulez ; mais attendu qu’il faut, comme l’on dit, qu’une porte soit ouverte ou fermée, encore faut-il que Son Altesse Royale et vous preniez un parti. »

Mais cette négociation que Tessé craignait de voir marcher trop vite au gré du Régent, encore hésitant, allait se trouver au contraire entravée par l’entrée en scène d’un troisième négociateur : la Prusse. Rien n’était plus naturel en soi-même que l’intervention de la Prusse. Elle avait été l’alliée de la Russie dans la guerre contre la Suède, et avait aussi des conquêtes, entre autres l’importante place forte de Stettin, à garantir. De plus, un traité d’alliance défensive, de nature assez vague et qui sur sa demande était demeuré secret, l’unissait à la France depuis 1716. Il n’y avait donc aucune raison de la tenir à l’écart de cette négociation. Le projet de traité français était même doublé d’un second projet par lequel « il était convenu que le traité de bonne correspondance, d’amitié et d’alliance convenu entre Sa Majesté Très Chrétienne et le Czar de Moscovie serait commun au Roi de Prusse en tous ses points. »

Lorsque le baron de Kniphausen, que le Roi de Prusse avait envoyé auprès du Tsar, débarqua à Paris, il était tout simple de l’admettre en tiers, et une lettre de Kourakin à Tessé informait ce dernier que désormais Kniphausen assisterait aux conférences qui se tenaient à l’hôtel de Lesdiguières. « Nous sommes convenus cependant, mandait Tessé à d’Huxelles, qu’il ne serait donné d’étendue de confiance au Prussien que dans la proportion où nous le croirions utile et nécessaire, et qu’il n’aura nulle

  1. Ibid. Lettre de Tessé du 21 mai 1717.