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connaissance des articles qui devront être secrets entre nous. » Mais à partir de l’intervention du Prussien, comme l’appelait Tessé, les choses commencèrent à mal marcher. Par égard pour lui sans doute, on crut devoir substituer aux deux projets de traité différens sur lesquels on délibérait un troisième projet auquel le Roi de Prusse était personnellement partie, et dont l’article premier était ainsi conçu[1] : « Il a été stipulé et accordé qu’il y aura, du jour de la conclusion de ce traité entre Sa Majesté Tsarienne, Sa Majesté Très Chrétienne, et Sa Majesté le Roi de Prusse, entre leurs héritiers et successeurs, leurs royaumes, pays et Etats, un traité d’amitié, de correspondance et de commerce éternel et sincère, lequel sera observé de telle manière que les parties contractantes s’entre-promettent de la manière la plus forte de faire tout ce qui dépendra d’elles pour procurer et avancer le bien et les avantages de l’un et de l’autre, et de détourner au contraire toutes sortes de dommages et de préjudices. »

Mais autant il était facile de stipuler qu’il y aurait amitié éternelle entre la Russie, la France et la Prusse, autant il allait être malaisé de s’entendre sur les conditions de cette amitié. On tomba aisément d’accord sur le principe même de la garantie réciproque de l’état territorial créé ou à créer d’une part par les traités d’Utrecht et de Bade, d’autre part par ce qu’on appelait la paix éventuelle du Nord, c’est-à-dire le traité qui ne pouvait manquer d’intervenir entre la Suède, la Russie et la Prusse. Mais sur les conditions où s’exercerait cette garantie les difficultés ne tardèrent pas à surgir.

Une première difficulté fut soulevée par la France. Les termes du projet qui avait été rédigé par Schafiroff et Kourakin limitaient expressément ce concours promis par la Prusse et la Russie au cas où le « Roy Très Chrétien viendrait à être attaqué par une guerre ouverte dans ses royaumes et Etats. » D’Huxelles faisait observer avec raison que, le but de cette nouvelle alliance étant la garantie des traités d’Utrecht et de Bade, ces traités seraient aussi bien violés si l’Empereur s’attaquait aux puissances italiennes qui avaient été partie à ces traités, et l’observation était si juste que cette difficulté ne paraît point avoir eu de suite.

Une seconde difficulté fut soulevée, celle-là par les négociateurs russes, à propos de la date à partir de laquelle la Russie, suivant l’expression du Tsar lui-même, serait mise aux lieu et place de la Suède[2]. La Russie aurait voulu être substituée effectivement

  1. Aff. étrang. Moscovie, t. VIII. Ce troisième projet porte la date du 4 juin.
  2. C’était ce que Tessé appelait dans sa langue pittoresque le coup des subsides qu’il aurait bien voulu parer en faisant valoir que la garantie des traités d’Utrecht et de Bade accordée par la Russie à la France avait pour équivalent la garantie de la paix éventuelle du Nord accordée par la France à la Russie, et que par conséquent les obligations réciproques des deux puissances se contre-balançaient. Mais ces Messieurs, ce sont les propres expressions de Tessé, lui riaient au nez et répondaient qu’ils étaient assez puissans pour se garantir par eux-mêmes. « Pour trancher court, écrivait Tessé, je ne vois nulle apparence que Son Altesse Royale puisse tirer aucun fruit de ce que nous faisons, et du voyage du Czar et de ses bonnes et apparentes dispositions d’entrer fidèlement en alliance avec nous, à moins qu’il ne se résolve, en mettant le Czar au lieu et place du roi de Suède, de lui donner les subsides qu’il donnait audit roi. Je me suis tenu en réserve sur le point du plus ou moins de ces subsides. »