Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/839

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rétributions annuelles ou journalières. L’écart paraît moindre, toutefois, entre les prix des siècles passés et ceux du nôtre, pour les labeurs à façon que pour les travaux à la journée, ce qui prouve que l’ouvrier des XVIIe et XVIIIe siècles faisait moins de besogne que celui du XIXe, peut-être parce qu’il se nourrissait plus mal, — le terrassier de Paris remue, en l’espace d’une heure, moitié plus de terre que le terrassier de basse Bretagne, — sans doute aussi parce que ses outils étaient moins bons, remplissaient moins bien leur office. On sait que la plupart des bêches étaient jadis en bois ferré, et que les blés se coupaient à la faucille. Le total de la main-d’œuvre des moissons montait assez haut, y compris le battage au fléau, sans que pour cela le laboureur fût payé cher. Les charrues aussi labouraient mal ; la surface minimum qu’un attelage de bœufs était tenu de parcourir dans sa journée, d’après les chartes des temps féodaux, se trouve beaucoup moindre que celle qu’il retourne et herse sans peine aujourd’hui.

Cependant, du moyen âge au XVIIIe siècle, on voit les mêmes travaux revenir moins cher au propriétaire, par suite rapporter moins au journalier. Le battage des grains coûte 90 centimes par hectolitre sous Louis XV, il valait le double sous Charles VIII. Le labourage des terres à la tâche, pour les blés d’hiver, qui se payait 30 francs au XVIIe siècle, que Voltaire, dans l’Homme aux quarante écus, évalue à 42 francs l’hectare, mais que l’on obtenait encore pour 32 francs en 1781 aux environs de la capitale, se paie 50 francs à l’heure actuelle. Le simple fauchage des blés, que l’on paie 15 francs l’hectare en moyenne dans la France contemporaine, coûtait 10 francs environ dans la France des deux derniers siècles.


V

Semblable à un oiseau qu’on aurait cru prendre dans une toile d’araignée, et qui la traverserait sans presque la voir, le prix du travail des métiers évolue aux temps modernes suivant les lois naturelles qui lui sont propres, sans se soucier plus que si elles n’existaient pas des combinaisons péniblement élaborées en vue de le faire monter ou descendre. La valeur de la main-d’œuvre, si solidement maintenue, semble-t-il, si sévèrement gardée, d’un côté par les statuts de chaque corporation qui la sollicitent à s’élever, de l’autre par les édits de maximum qui tendent à la ravaler, demeure indépendante des uns et des autres. Ces salaires que ni les producteurs ni les consommateurs ne peuvent