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respective des individus. En Normandie par exemple, un scieur de long à la journée gagne 2 fr. 65 vers la fin du règne de Louis XV, un menuisier, nourri, n’est payé par un hospice de Rouen que 90 centimes. Il importe peu dès lors que certains charpentiers touchent 2 fr. 60 en Lorraine, d’autres 2 fr. 80 à Sens, tandis que ceux d’Alsace n’ont que 1 fr. 95, que ceux qui étayent les galeries des mines de Carmaux, dans l’Hérault, reçoivent 2 fr. 25, ceux de l’Anjou 2 fr. 10, ceux du Limousin 1 fr. 90 et ceux du Berry 1 fr. 60. Au moment de la Révolution (1790), les maîtres maçons de Paris touchent 3 fr. 60, les compagnons 3 francs, les garçons 2 fr. 16, — les mêmes ouvriers gagnent, en 1 896, 8 francs, 6 fr. 50, et 5 francs. — Les salaires, au dire d’A. Young, étaient peu différens dans l’Italie du nord ; à Turin par exemple, ils ne dépassaient pas 2 fr. 60. Au contraire, dans la Grande-Bretagne, d’après les chiffres de Thorold Rogers, ils atteignaient déjà le chiffre de 5 francs.

Les autres corps d’état se prêtent moins aisément que ceux-là aux comparaisons, parce que les salaires, payés au mois ou à l’année, comprennent suivant les cas le logement et la table. Même en tenant compte de ces avantages, on est frappé du taux minime des salaires annuels ou mensuels en regard des salaires journaliers. Le rapprochement nous montre que le prolétaire d’autrefois devait être très exposé à manquer d’ouvrage ; puisque la garantie du vivre et du couvert lui semblait si précieuse que, pour l’obtenir, il n’hésitait pas à sacrifier le tiers, la moitié parfois, de ce qu’il aurait gagné à la journée. De nos jours le boulanger nourri, hors Paris, gagne 1 fr. 35 ; le boulanger des XVIIe et XVIIIe siècles était payé de 225 francs à Orléans, à 170 francs à Rouen et 160 francs à Nîmes. En comptant pour l’année deux cent cinquante jours de travail ces chiffres correspondent à une paye journalière de 90 à 64 centimes. En 1790 les garçons brasseurs n’ont que 240 francs par an à Paris, les ouvriers boulangers ont 180 francs à Besançon.

S’il est des tapissiers à la journée qui touchent 3 fr. 50, il en est d’autres à l’année auxquels on ne donne que 42 centimes. Le tanneur à l’année n’a que 173 francs, tandis que le tanneur à la journée reçoit un salaire journalier de 1 fr. 20, soit 300 francs par an. De même le cordonnier à la journée était payé, il y a cent ans, 2 fr. 20, et le cordonnier à l’année 60 centimes seulement. Dans toutes les professions nous retrouvons les mêmes disparités ; elles ont pour effet d’affaiblir l’ensemble des recettes de la classe laborieuse. Dans l’industrie du tissage les patrons, qui exigeaient un minimum de fabrication, accordaient aux ouvriers qui le dépassaient une sorte de prime. Un « tixier » — tisserand — en toile