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qu’elles pèlent avec méthode, et découvrent deux rangées de dents blanches où luisent des mastics d’or. Durant tout le voyage, elles garderont leur même gravité et une attitude de bas-reliefs antiques. Il y en a d’autres, jeunes filles ou jeunes femmes, qui au contraire sont maigres, malingres, ombres plus pâles dans l’ombre noire du manto. On dirait de petites bonnes étiolées : elles restent immobiles, indifférentes à tout, même au bébé malpropre qu’elles soutiennent dans leurs bras, et qu’elles ont coiffé d’une capote ruchée, blanche ou rose. De jolis visages, peu ou point ; mais, ça et là, une certaine distinction qu’impriment des yeux sombres à une physionomie fanée. Les femmes n’ont point souci de leur beauté. Le soleil, le miroitement des sables, l’ardente poussière, le vent sec émacient les frêles, tassent les grosses. Où nul printemps ne verdit, la femme ne s’épanouit point, et, dans ces pays sans automne, elle ne saurait atteindre le charme des maturités voluptueuses. Les filles de Tarapaca ont la tristesse des tamaris, qui, poussant dans leur désert, ne donnent jamais de fleurs.

Deux ou trois d’entre elles, pas davantage, plus fardées, plus pimpantes, des bouffettes de ruban aux souliers, la jupe relevée contrairement aux habitudes du pays, les bas bien tendus, voyagent d’un bout à l’autre de la pampa en qualité… mettons de bayadères. Leur immuable sourire est une enseigne. Elles observent strictement le silence de leurs compagnes et leur bienséance. Je les crois pénétrées de l’importance de leur mission. On les a probablement mandées dans une officine où elles vont faire la place dans un village du désert. Enfin quelques commis voyageurs, de rares touristes, et nous aurons achevé le dénombrement de cette foule où courent, vendeurs de journaux et porteurs de valises, des gamins en bonnet rouge.

Pour sortir du cirque des hauteurs qui protègent la rade d’Iquique, la ligne décrit un angle aigu. Elle file d’abord vers l’extrémité nord de la baie, à travers les grèves ; de là elle s’élance sur le flanc des montagnes, longe toute la baie qu’elle domine, et s’échappe par l’échancrure de deux crêtes.

Le matin s’embrumait du côté de l’Océan ; des navires profilaient au loin de vagues fantômes. Mais à mesure que nous nous éloignions, le soleil se levait et communiquait à l’immense plage la vie multiple des scintillemens. Nous distinguons à notre droite un carré enclos de murs et bossue de tertres blancs : c’est le cimetière. Deux guérites brunes à sa porte lui donnent une apparence de campement mystérieux et solitaire. A gauche, deux quadrilatères isolés de la ville, l’hôpital, pâté de bâtimens inégaux, bruns et violets, et le lazaret, bleu ciel. Nous courons