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tendues, plus la dernière est sûre pour la triple alliance. La force de résistance de l’Italie aux propositions de la France ne doit pas être mise à une trop rude épreuve. Les circonstances pourraient faire que la France exerçât une sorte de protection sur le royaume d’Italie. Une telle situation serait le commencement de la fin de la participation de l’Italie à la triple alliance. » Cet article a produit naturellement quelque impression au-delà des Alpes. On y remarquera le soin avec lequel celui qui l’a rédigé ou inspiré s’efforce de provoquer les appréhensions de l’Italie contre la prétendue possibilité d’une sorte de protection que la France exercerait sur elle : c’est le même jeu qu’on joue avec nous à l’égard de la Russie.

Quoi qu’il en soit, les journaux italiens montrent un certain désarroi en présence de la situation nouvelle. La Tribuna en particulier a été instructive à lire. C’est en termes véhémens que ce journal, qui a si bien défendu la politique de M. Crispi, en confesse aujourd’hui l’absolue stérilité ; mais il s’en prend à l’égoïsme de l’Allemagne et de l’Autriche qui n’ont su, ou voulu rien faire pour l’Italie. La triple alliance ! la Tribuna affirme, et nous ne nous attendions pas à ce blasphème de sa part, que ce n’est pas pour son pays qu’elle en regretterait la ruine, car enfin quel profit en a-t-il retiré ? Est-ce que l’Italie serait dans une situation pire si elle était restée isolée depuis 1882 ? Parlez à la Tribuna de l’alliance franco-russe ! Voilà le modèle idéal : deux pays confians l’un dans l’autre, qui affichent hautement, hardiment, la solidarité de leurs intérêts et qui savent les défendre en commun sans se soucier de ce que d’autres en pourront penser. Et la Tribuna n’est pas le seul journal italien qui montre de l’enthousiasme pour ce qu’ils appellent la duplice, par opposition à la triplice, sans qu’on distingue bien encore si de tels articles manifestent chez ceux qui les écrivent des sentimens convertis, ou s’il faut y voir seulement des objurgations mêlées de reproches, ayant pour but de stimuler le zèle jugé un peu tiède des deux grands alliés. Nous renonçons d’ailleurs à résumer les articles des journaux italiens à l’occasion des événemens qui viennent de se passer en France : il y a de tout, de la colère, du dépit, de l’admiration, souvent même une réelle sympathie, et il est difficile de dire quel est, de tous ces sentimens, celui qui domine. Le ton de la presse qui a des attaches avec le gouvernement a toujours été parfaitement convenable et courtois.

Il en a été de même, et d’une manière encore plus générale, en Angleterre. L’Angleterre n’oublie pas qu’elle est, de tous les pays de l’Europe, celui qui peut regarder avec le plus de sang-froid tout ce qui se passe sur le continent. Elle a vu successivement s’y former les alliances les plus diverses, sans que sa situation personnelle en ait été éprouvée. En tout cas, son robuste bon sens ne la porte pas à discuter indéfiniment sur des faits accomplis ; aussitôt qu’elle les a reconnus