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définitifs, elle en prend son parti et ne cherche plus que la meilleure manière de s’en accommoder. La presse anglaise reconnaît de très bonne grâce la réalité et l’importance de l’entente franco-russe, mais elle déclare n’en prendre aucun ombrage, et n’avoir aucune raison de s’inquiéter de ce qui peut arriver d’heureux, soit à la Russie, soit à nous. Elle constate qu’au milieu des belles fêtes de Cherbourg, de Paris et de Châlons, pas un incident fâcheux ne s’est produit, pas une parole regrettable n’a été prononcée. Tout ayant été correct de notre part, tout l’est aussi de la sienne : c’est une justice qu’elle nous rend et que nous lui rendons à notre tour. L’Angleterre montre une fois de plus qu’elle est un pays où l’opinion, qui est maîtresse de tout, est avant tout maîtresse d’elle-même, et sait obéir à des inspirations toujours pratiques et vraiment politiques. Quelques journaux vont jusqu’à dire que l’alliance ne sera complète que lorsque l’Angleterre en fera partie, ce qui, à les en croire, ne saurait tarder. En vérité, nous ne demandons pas mieux. Le jour où la France, la Russie et l’Angleterre se trouveraient d’accord, l’équilibre du monde serait assis sur les bases les plus solides. Le gouvernement anglais sait bien ce qu’il aurait à faire pour atteindre un résultat si désirable : malheureusement, rien jusqu’ici ne nous a préparés de sa part à ce dénouement, sauf les articles de journaux auxquels nous faisons allusion, et ce n’est pas tout à fait assez. Il n’en est pas moins incontestable que l’opinion anglaise, dans l’accueil qu’elle a fait aux manifestations franco-russes, s’est montrée habile et sage. Nul ne peut prévoir aujourd’hui les événemens de demain. L’Angleterre, par ses ménagemens pour le dernier groupement politique qui vient de se former sur le continent, se ménage à elle-même le moyen d’en profiter à l’occasion. Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois qu’elle aurait collaboré avec la France et la Russie ; elle l’a fait, par exemple, dans la première phase de la question arménienne, et il aurait certainement mieux valu pour tout le monde, y compris les Arméniens, qu’elle le fît jusqu’au bout. En ce moment même, l’état de l’Orient n’est que trop propre à inspirer des inquiétudes. Lord Rosebery, en donnant sa démission de chef du parti libéral pour reprendre toute sa liberté d’allures, liberté que les initiatives tumultueuses de M. Gladstone ne laissaient pas de gêner et de diminuer, a montré qu’il était loin de regarder comme résolues les questions que les derniers incidens ont posées. Il a très probablement raison. Le temps nous manque aujourd’hui pour parler plus longuement de la résolution qu’il a prise, des motifs qui l’y ont déterminé, des conséquences qui peuvent en résulter, soit au dehors pour la politique de l’Angleterre, soit au dedans pour la composition des partis. Mais le fait valait au moins la peine d’être signalé.

On voit par ce qui précède combien l’impression produite en Europe par le voyage du tsar en France a été générale et profonde. Nous