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UN ROMANCIER OUBLIÉ

GATIEN COURTILZ DE SANDRAS

Les Mémoires de M. d’Artagnan, dont Dumas s’est servi pour écrire les Trois Mousquetaires, viennent d’être réimprimés. Ils ne l’avaient point été depuis 1715 et passaient pour presque introuvables. Par malheur, la réimpression récente est bien inexacte. Les éditeurs, qui la disent conforme à l’édition originale et ajoutent : de 1702, nous obligent à leur répondre que l’édition originale est de 1700 (t. I) et de 1701 (t. II et III) et qu’elle ne ressemble guère à la leur. Ils se sont appliqués à rajeunir le texte, afin d’en rendre la lecture plus facile et plus attrayante. Ils ont réduit de moitié bon nombre d’alinéas, remanié ou abrégé les phrases, changé les mots, changé les tournures, et démontré clairement à un auteur mort en 1712 qu’il écrivait moins bien qu’eux le français d’aujourd’hui. Ils ont fait plus ; ils ont coupé le long et compact récit en chapitres, et placé en tête de chaque chapitre un sommaire gros de promesses : « Nouvelle querelle. — Trois coups d’épée. — Grand esclandre, » etc. C’est à présent le rédacteur des Mémoires qui a l’air de s’être inspiré de Dumas, et d’Artagnan paraît constamment préoccupé de ressembler à sa copie. Cela ne va pas sans causer de la surprise. Telles, ces traductions du siècle dernier où l’on voit combien Homère et Virgile imitaient Racine.

Si le vieil ouvrage n’avait d’autres mérites que d’avoir fait éclore le plus populaire de nos romans-feuilletons ou de renfermer des détails inédits sur d’Artagnan, Athos, Porthos et Aramis, il n’y aurait lieu ni de le réimprimer ni de s’en occuper ici. Ceux-là, j’imagine, ne sont pas très nombreux que passionne la question des sources de Dumas, et on nous a sans doute assez parlé de ces