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« trois mousquetaires » qui, du reste, étaient quatre. L’intérêt est ailleurs, et il est où on s’attend le moins à le rencontrer. Nous n’estimons habituellement des Mémoires que s’ils sont authentiques. La principale raison que nous ayons d’estimer ceux de d’Artagnan est qu’ils ne sont pas de lui, mais du romancier Sandras. Ils sont un roman, mais un roman publié quinze ans avant Gil Blas, trente et un ans avant la Vie de Marianne et Manon Lescaut, et un roman qui caractérise une époque importante du genre : voilà de quelle façon ils sont un document et à quel point de vue il faut les lire. Qui ne voit dès lors qu’un remaniement qui efface leur âge leur enlève presque tout leur prix, et comment s’étonner qu’aux élégans volumes de la Librairie illustrée les lettrés préfèrent les exemplaires lourdement et nettement imprimés jadis chez Pierre Marteau, — pauvres bouquins sans grâce, carrés, massifs comme de vieilles bibles, mais où le texte conserve, avec l’archaïsme de sa forme, son charme de très ancienne histoire ?

I

C’est une figure amusante, quoiqu’un peu suspecte, que celle de ce Gatien Courtilz ou des Courtilz, sieur de Sandras, dont le nom ne se lit même pas sur la couverture de la nouvelle édition. Le peu que nous savons de lui donne l’idée d’une existence presque aussi agitée que celle de ses héros. Il est né, au dire des biographes, soit à Paris, soit à Montargis ; mais sa famille était vraisemblablement originaire du Midi. Outre que son nom de Sandras est d’une sonorité toute méridionale, on le voit faire allusion dans ses Mémoires de Rochefort à un Courtilz qui était Béarnais. Il parle sans cesse du Béarn et en homme qui connaît les gens et les lieux ; ce qu’il dit en maint endroit de la petite noblesse d’Orthez ou de Tarbes a un arrière-goût de commérage provincial et local. Oui, il doit être de cette race entreprenante et gaillarde, toujours prête à courir après la fortune, et dont les fils s’embarquent aujourd’hui pour « les Amériques » comme ils chevauchaient autrefois, la bourse vide et la plume au vent, vers Paris ou Versailles. Né en 1644, il était en 1670 officier au régiment de Champagne, où il a commencé à faire provision de souvenirs sur ses frères d’armes et sur ses chefs, à recueillir aussi de la bouche des anciens, qui contaient leurs amours et leurs