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droit de remontrance, l’efficacité morale de la prédication est singulièrement précaire : l’auditeur en emporte deux leçons, d’une part la conscience de son indignité personnelle (l’homme n’est qu’ordure et boue), d’autre part la confiance dans la grandeur incommensurable des mérites du Christ. Quant à la part personnelle à laquelle peut et doit prétendre la volonté humaine, sinon dans le rachat du péché passé, au moins dans la destruction future de l’habitude vicieuse, c’est là un chapitre qui, dans les exposés protestans de l’économie chrétienne, est volontiers relégué au second plan. Malheur aux prédicateurs qui, contrairement à l’esprit de la Réforme, croiraient servir la morale en développant ce chapitre-là ! Le prédécesseur de M. Gerade, fort aimé de ses ouailles, perdit tout d’un coup sa popularité parce qu’il avait trop insisté, dans son prêche, sur le repentir, la faute, le jugement de Dieu, et trop peu sur la grâce et sur l’amour. Et M. Gerade lui-même encourut le mécontentement d’un brave homme parce qu’on lisait, sur l’image de confirmation donnée à son fils, que le Christ était venu racheter les pécheurs. d’une bassesse incurable, originelle, et qui sera toujours la même quels que soient les actes vertueux que la volonté humaine s’efforce d’y greffer, les fidèles prennent aisément leur parti : un tel enseignement n’est point gênant pour leur amour-propre, car il s’applique à tous les humains ; il ne coûte aucun sacrifice à leur volonté ; et l’effort d’anéantissement qu’il réclame, superbe chez un Luther, se réduit, chez les âmes médiocrement religieuses, à une sorte de mécanique de conscience. Mais si le pasteur met en relief la responsabilité de l’homme devant la faute, et s’il prétend faire trembler ses auditeurs au spectacle de cette responsabilité, ceux-ci, habitués à se reposer dans la double pensée de l’immensité de la dépravation humaine et de l’immensité du remède divin, se demandent avec mauvaise humeur par quelle porte dérobée s’est introduite, d’un pas rapide et pressant, l’obligation du repentir. Quant à la cure des âmes (Seelsorge), si le pasteur essaie de la poursuivre par des entretiens personnels avec les fidèles, il n’est pas rare que ceux-ci se dérobent ; et tels ministres évangéliques, qui entrevoient le vice ou l’habitude du mal derrière la façade d’une moralité apparente et d’une piété correcte, se plaignent que les occasions leur manquent pour adresser à ces pécheurs, peut-être ignorans de leur péché, les avis nécessaires et les remontrances congrues.