Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Azcarraga ont échoué misérablement. Il fallait s’y attendre. La dissidence de M. Silvela avait déjà fortement entamé la cohésion du parti. Aussitôt après la mort de M. Canovas, ses lieutenans ont pris les uns à l’égard des autres une attitude indépendante. Le groupe de M. Pidal a marqué des tendances à se séparer de celui de M. Romero Robledo, et tous les efforts qu’on a multipliés pour arrêter le mal n’ont réussi qu’aie propager et à l’aggraver. Le désarroi des conservateurs devait avoir, dans le pays lui-même, des conséquences immédiates. Les carlistes, dont l’agitation devenait de jour en jour plus sensible, ont fait excommunier le ministre des finances par l’évêque de Majorque, à propos de la mainmise de l’État sur des propriétés ecclésiastiques. Les républicains, voyant les carhstes prendre les devans, ont commencé, eux aussi, à se remuer. Ces symptômes n’ont eu encore rien de bien inquiétant en eux-mêmes ; mais il importait d’y couper court, et le ministère conservateur, ne reposant plus sur aucune base solide, semblait de plus en plus incapable de remplir cette tâche. La crise a été brusquée beaucoup moins par l’attitude des États-Unis et par la note du général Woodford, que par ces dissensions intestines. M. Silvela se refusait à toute conciliation. Il croyait, à tort ou à raison, que le parti conservateur s’était irrémédiablement usé au pouvoir, et ne pouvait se reformer que dans l’opposition. Il aspirait à en prendre alors la direction. Le maréchal Martinez Gampos et le général Polavieja, qui lui sont dévoués, parlaient ouvertement, et le premier même par écrit, de la nécessité pour les conservateurs de se retirer et d’abandonner la place aux libéraux. Comment la reine aurait-elle pu s’appuyer plus longtemps sur un parti en miettes, qui se désavouait, se reniait, s’excommuniait, se condamnait lui-même par la bouche ou par la plume de ses principaux représentans ? Il fallait d’autres hommes, et par conséquent une autre politique. Nous disions, il y a quelques mois, lorsque M. Canovas, après avoir donné sa démission, l’a reprise à la demande de la reine, qu’il ne faut pas changer les chevaux en passant un gué ; néanmoins, quand les chevaux sont morts, le changement s’impose, et c’est l’obligation en présence de laquelle on s’est trouvé.

M. Sagasta ne ressemble en rien à M. Canovas ; il n’a ni les mêmes qualités, ni les mêmes défauts ; mais ses qualités se prêtent admirablement aux circonstances que l’Espagne traverse aujourd’hui. Nul n’a jtlus d’habileté exercée, de souplesse, de finesse, et c’est par là qu’il i)Ourra être très utile à son pays. S’il essayait de suIatc la politique de son prédécesseur, il faudrait l’en détourner ; en effet, s’il n’est