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pas sûr que M. Canovas y aurait finalement réussi, il est tout à fait certain que M. Sagasta y échouerait. En acceptant le pouvoir, il a fait acte de bon et de courageux citoyen, — d’autant plus qu’il n’apeut-être pas trouvé tous les concours sur lesquels il était en droit de compter. Nous en jugeons par la composition de son ministère, où il n’a fait entrer que des élémens d’une seule nuance. Tous les ministres, à l’exception du ministre d’État qui est un indépendant, appartiennent au groupe de M. Moret. Ce sont des personnages considérables, ayant déjà figuré dans diverses combinaisons antérieures. Quant au groupe de M. Gamazo, le rival éventuel de M. Moret dans la direction du parti libéral, il a préféré rester à l’écart, sous sa tente. Il y a là, sinon pour aujourd’hui même, au moins pour plus tard, une cause de faiblesse. M. Moret est bien connu en Europe. Il a été plusieurs fois ministre. Il a dirigé les affaires étrangères de l’Espagne sous le gouvernement libéral. Il a jugé à propos, cette fois, de prendre le ministère de Ultramar, c’est-à-dire des colonies, auquel la gravité de la question cubaine donne une importance si considérable. L’indisposition que M. Sagasta a ressentie dans les premiers jours de son gouvernement, et dont il n’est pas encore tout à fait rétabli, a permis à M. Moret d’exercer toute l’activité dont il est capable, très grande en vérité, et c’est lui, dit-on, qui dirige la politique espagnole dans les circonstances présentes. Les questions intérieures y occupent le second plan. La situation financière n’est pas brillante, mais elle offre des ressources encore pour assez longtemps. Un mouvement carliste ou républicain ne peut être considéré comme une éventualité immédiatement menaçante. Beaucoup plus grave au contraire, et même uniquement grave est la question des rapports de l’Espagne avec les États-Unis, — et aussi avec l’Europe. Quelles sont sur tous ces points les idées personnelles de M. Moret ?

Il les a exposées trop souvent pour qu’on les ignore. Dans ses entretiens, dans ses écrits, dans ses discours, car il est à la fois un causeur brillant, un publiciste abondant, un orateur entraînant, il n’a négligé aucune manière de les faire connaître et de les propager alors qu’il était dans l’opposition : on va maintenant le voir à l’œuvre pour les réaliser. En ce qui concerne la question cubaine, les libéraux, et notamment M. Moret, ont toujours été d’avis qu’elle ne pouvait pas être résolue seulement par la guerre. Ils étaient sur ce point en pleine contradiction avec M. Canovas. Ils ne croyaient pas que l’effort militaire pût venir à bout de toutes les difficultés en présence desquelles on se trouvait. Les conditions géographiques de l’île rendent la campagne