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LE DÉSASTRE.

d’accepter d’autres conditions. Il offrait, si le prince Frédéric-Charles désirait de plus complets renseignemens, de lui envoyer le général Boyer, son premier aide de camp.

— Voilà, mon cher, dit Charlys avec indignation, ce que Bazaine ose proposer ! Une capitulation, d’emblée !… Ce Régnier, savez-vous sur quoi il l’a si bien accueilli ? Sur une simple photographie de la maison de l’Impératrice à Hastings, photographie portant la signature du Prince impérial. Il s’est confié à ce louche individu, il lui a dit que nous n’avions plus de quoi manger que jusqu’au 18 octobre. On ne croira pas ces choses-là plus tard, mon ami ! Et il propose, — pour donner des renseignemens ? allons donc ! — pour entrer en pourparlers, plutôt, son fidèle Boyer, le conseiller du Mexique, Boyer l’Invalide, le prôneur d’une « captivité honorable » !

Il ajouta brusquement :

— Strasbourg s’est rendu hier, après une belle défense.

Un silence, et nouant ses mains qui craquèrent :

— Puissions-nous en dire autant ! Car pour sortir… je n’y compte plus !

II

Pourtant, divers préparatifs semblaient vouloir le démentir.

Le 4, le maréchal convoquait chez lui, à quatre heures et demie du soir, les commandans de corps d’armée et les chefs des différens services. Du Breuil était allé voir Védel à son bivouac. Il ne passait jamais sans tristesse le long du campement de la division du Barail, installée sur les glacis de Metz. Il contempla les longues files blanches et grises des petits chevaux arabes, si vifs autrefois, à présent abattus, couchés sur le flanc, effroyablement maigres. Ils se relevaient encore, par habitude, aux heures des repas et, tirant sur la corde, hennissaient en frappant du pied, appelant en vain les musettes d’avoine ou la botte de fourrage. Ils rongeaient tout ce qui leur tombait sous les dents, le cuir, le bois ; ils se mangeaient la crinière et la queue, retrouvant un instant la force de ruer et de mordre ; puis ils se recouchaient, une détresse dans leurs yeux vitreux, et leur longue agonie recommençait.

Un beau soleil à son déclin chauffait la plaine ; dans la clarté fauve, les derniers arbres balançaient des bouquets de feuilles