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il est impossible de ne pas tenir le triomphe de Wagner pour une victoire de l’idéalisme, et de ne pas reconnaître « qu’il n’y a rien de moins sensuel que cette conception de la musique, rien de moins naturaliste que cette conception de l’art de l’avenir[1]. »


VI

Ainsi tous les grands musiciens ont témoigné tour à tour de l’idéalisme de leur art. Mais il est un autre témoignage qu’ils ont également rendu : c’est que l’idéal de la musique, non seulement n’est pas l’irréel, mais qu’il est au contraire, — étant notre pensée, ou notre sentiment, ou notre âme, — la plus véritable, la plus certaine, la plus réelle enfin de toutes les réalités.

Voici le tournant et comme la boucle de notre sujet et de notre étude ; c’est ici que les deux termes de réalisme et d’idéalisme, opposés dans leurs acceptions superficielles ou secondaires, se réconcilient en leur principale et profonde signification. Aussi bien la réduction à l’identité de ces deux termes, contradictoires seulement en apparence, est au fond de toute théorie philosophique de l’idéalisme. On a très justement rappelé « qu’en philosophie, — depuis Parménide jusqu’à Hegel, et, si l’on le veut, jusqu’à M. de Hartmann, — l’Idéalisme consiste à ne reconnaître pour vrai et même pour existant réellement, que ce qui existe d’une manière permanente et durable[2]. » On a dit encore, avec non moins d’exactitude : « Cette philosophie prend le nom d’idéaliste, qui aperçoit au-dessus du monde actuel tout un autre univers que nos pensées composent, dont un esprit omniprésent, le nôtre peut-être, fournit le théâtre. Elle ose plus. Au lieu que tout à l’heure l’âme éprise du mieux se contentait d’inventer par delà les êtres ambians, des types embellis, sur la consistance desquels elle ne se faisait nulle illusion, l’esprit maintenant prend en lui-même assurance et foi. Le réel prétendu devient pour lui signe et symbole, et ce sont désormais ses pensées, avec leurs lois inflexibles, leur inépuisable variété de formes et de contours, qu’il estime seules de véritables existences[3]. »

  1. M. Brunetière, (la Renaissance de l’Idéalisme).
  2. M. Brunetière (ibid.)
  3. L’idéalisme en Angleterre au XVIIIe siècle, par M. Georges l.yon. (Cité par M. Brunetière.)