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LE DÉSASTRE.

— Au nord-ouest de Metz, il paraît que des camps prussiens étaient abandonnés depuis quelque temps. Au nord-est, mon fils a vu hier ces ouvrages terrifians ! un pauvre retranchement de 75 centimètres de hauteur. Et l’on nous a trompés sur tout, sur tout ! Plus de ressources, affirmait-on. Mais les forts avaient leurs réserves de vivres ! On a découvert à Plappeville quantité de tonneaux de lard, de caisses de biscuit, de sacs de riz, du café, de l’avoine, du vin, de l’eau-de-vie…

Dans le grand silence qui suivait, Maurice se mit à claquer des dents, il se tenait tout recroquevillé au coin du feu.

— Allons, viens avec moi, ordonna tout à coup Sohier, qui, farouche, avait écouté tout le monde sans parler, viens avec moi, mon garçon. Un bon lit à l’hôpital te vaudra mieux que l’évasion déraisonnable que tu médites !

Et payé par un regard reconnaissant d’Anine qui embrassait son frère, haussant les épaules aux recommandations superflues dont le poursuivait Bersheim, il emmenait le sous-lieutenant par le bras, du même air bourru qu’il l’eût conduit au poste. Du Breuil sortait avec eux… De nouveau c’était le froid, la pluie, le noir, la boue, le retour lugubre à la petite maison où deux hommes clouaient Restaud dans son cercueil ; puis, la veillée de cette dernière nuit, les préparatifs et les cantines de l’exil ; et, au milieu du grand silence, le bruit dans l’écurie d’une chaîne d’attache, les coups de pied au bat-flanc de Cydalise ragaillardie, qui mangeait maintenant à sa faim…

L’enterrement de Restaud eut lieu le matin. Le brave Trudaine, selon sa promesse, officiait. Mme Guimbail, quelques uniformes égarés se groupaient dans la petite église. Du Breuil, rentré chez lui, passait tout en revue : les humbles meubles, le lit de fer témoin de ses insomnies fiévreuses, le papier à fleurs des murs, la feuille du calendrier attardé au : 28, Prise de Berlin ! … Jamais il n’oublierait cette petite chambre !… Descendu pour prendre congé de Mme Guimbail, il attendait un grand moment dans le salon. Les prévenances furtives de son hôtesse lui revinrent en mémoire, avec l’idée qu’il n’aurait tenu qu’à lui de trouver en elle une affection toute prête. Pendant la messe, pas une fois il n’avait pu rencontrer le regard de la veuve ; elle essuyait ses yeux, puis les rivait obstinément à son livre de messe. Mais la porte s’ouvrit, Mme Guimbail entra. Elle venait de rafraîchir son visage et ses paupières meurtries.