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une pelisse de fourrure ; sa nuque rouge faisait bourrelet sur le col… Du Breuil songea à ceux qui manquaient et qui, au début de la guerre, faisaient partie de l’état-major impérial, Jaillant, Lebrun, d’autres, en captivité aussi depuis Sedan… Et quand il fut sur le quai, et qu’il aperçut l’immense convoi, plus de cinquante voitures et fourgons attelés à deux locomotives, il revit, dans le va-et-vient fébrile de cette foule galonnée, chamarrée de croix, dans le heurt des grosses épaulettes à torsades d’or qu’on froissait sans le vouloir, un autre train. Ce train-là, devant le petit embarcadère de Saint-Cloud, dans ses voitures vert sombre à l’N dorée et son wagon-terrasse en fer poli, avait emporté, par un matin d’été, avec l’Empereur et le Prince impérial, avec leurs cortèges de généraux et d’aides de camp, le destin même du pays, la fortune de la France !

Le destin du pays, la fortune de la France, où étaient-ils à présent ? Qui pouvait les démêler à travers l’obscurité de ce lugubre jour d’automne ?… Généraux, aides de camp allaient s’entasser dans le train gigantesque ; cette fois, ils ne roulaient plus vers la gloire, mais vers l’exil et la captivité, dans l’amère nausée d’une humiliation sans exemple.

Védel sourit :

— Des wagons de 3e classe ! Tu seras assis au moins.

Du Breuil comprit : les officiers des trains suivans, les soldats par milliers voyageraient, eux, dans des wagons de marchandises et des wagons à bestiaux, ouverts à toutes les intempéries. Il avait déjà serré la main de Charlys, de Laune, qui s’étaient installés à la tête du train.

— Vous montez avec nous ? avait dit Laune.

Et Du Breuil, de sa pèlerine et de sa sacoche, avait marqué sa place. Autour d’eux on grimpait à l’assaut, on embarquait les chevaux dans les fourgons, les ordonnances s’agitaient.

— Nous ne partirons pas avant une heure, dit Massoli qui arrivait. Il paraissait rajeuni de vingt ans, rasé de frais, les cheveux d’un éblouissant noir de cirage. On avait donc réapprovisionné les coiffeurs de Metz !

— La Garde attend son tour, dit-il. Voilà plusieurs heures que les officiers stationnent sous la pluie. — Il baissa la voix : — A-t-on des nouvelles du commandant Leperche ?

L’aide de camp de Bourbaki était décidé à sortir coûte que coûte. On n’en avait plus de nouvelles.