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LE DÉSASTRE.

là avaient le droit de contempler face à face, haut les yeux, ces signes éclatans de l’impérissable honneur national. Qu’importaient l’écroulement de l’Empire, ces revers inouïs, Sedan, Metz, l’inconnu des malheurs à venir ! Un espoir redressait chacun : la fortune changerait, les pires catastrophes ont un lendemain ! La vision affreuse disparut.

Du Breuil, dans le wagon glacé, où tous se taisaient comme dans une chambre mortuaire, les yeux brillans, songeait… Lacoste, Restaud, Blache, parmi les gens de cœur qu’il aimait, combien de morts !… La guerre, de sa faux rouge, avait taillé à même la chair frémissante de la race. Un concert de lamentations s’élevait des foyers vides. Il maudit ces heures d’abominable épreuve. Mais puisqu’il les avait subies, qu’elles lui servissent du moins de leçon ! On s’était engourdi dans une paresse présomptueuse, au dissolvant laisser-aller d’une vie d’insouciance et de plaisir ; on se réveillait en pleine horreur. Mais sur cette nuit d’abîme, se lèverait l’aube réparatrice. Si atroce qu’elle fût, la guerre lui avait appris à se connaître, à connaître les autres. Elle avait, dans bien des âmes, réveillé l’énergie dormante. Elle avait enseigné l’endurance, la solidarité, l’héroïsme. Elle avait tué des hommes, elle en avait créé d’autres. L’exemple des morts fortifiait les vivans.

Dans ce creuset effroyable où le désastre avait entassé, avec les trophées de l’Empire, armes, sang, boue, les fortunes ruinées, les illusions détruites, tout le désespoir d’un peuple, — l’avenir bouillonnait comme un métal en fusion. Une France nouvelle en jaillirait.


Paul et Victor Margueritte.