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mis à bouillonner. On croit assister à l’explosion de sentimens longtemps comprimés. « Il y a bien du vrai, mon très cher ami, écrit-il, dans ce que vous me dites pour m’encourager à prendre l’initiative d’une rencontre avec le chancelier ; mais... je vous avoue que je n’en ferai rien. » Ce qui suit est presque une diatribe, à la fois contre le prince de Bismarck, et contre l’alliance allemande elle-même. « Il est possible, dit M. de Robilant, que M. de Bismarck se soit trompé à mon égard, ne me connaissant pas du tout, et se soit imaginé que je me sentirais le besoin de marcher toujours et quand même à sa suite. S’il a cru cela, il s’est étrangement trompé. » Pour ce qui est de l’alliance, — et c’est le jugement porté sur elle qui est ici le plus intéressant, — M. de Robilant en parle sans le moindre respect. « Décidément, assure-t-il, l’Italie est fatiguée de cette alliance inféconde, et je ne me sens pas l’envie de la forcer à la renouveler, car je sens trop profondément qu’elle sera toujours improductive pour nous. » Voilà qui est net, assurément. On serait porté à croire qu’un ministre qui a tenu un pareil langage a définitivement renoncé à l’alliance. Point du tout : c’est lui-même qui l’a renouée. Dans la suite de sa lettre, il se montre, à la vérité, moins intraitable. Il se plaint que, lors du premier traité, l’Italie ait fait toutes les avances, et il jure qu’il n’imitera pas en cela son prédécesseur. Mais si M. de Bismarck, « lui », prend cette fois l’initiative ; s’il fait, « des ouvertures » ; enfin si ses offres sont honnêtes, on verra : il n’est pas impossible de s’entendre une fois de plus. Les conclusions, on le voit, ne sont pas bien d’accord avec les prémisses. Ou l’alliance est bonne pour l’Italie, ou elle ne l’est pas. M. de Robilant commence par la déclarer mauvaise, inféconde et stérile, dit-il ; puis, il indique dans quelles conditions il est prêt à la renouveler, et ce sont de simples conditions de forme : il s’agit seulement de faire faire au prince de Bismarck les premiers pas. Il les a faits sans doute, puisque l’alliance a été renouvelée. Il se sentait trop haut pour avoir de l’amour-propre. Son rôle prépondérant dans l’alliance lui permettait de montrer de la condescendance. Mais, d’autre part, plus on y songe et plus on est amené à croire que M. de Robilant, en tenant le langage qu’il a tenu, voulait peut-être tout simplement amorcer un marchandage. Et puis, chacun connaît ses instrumens, après les avoir pratiqués, et sait comment il faut les manier pour s’en bien servir : il n’est pas impossible que M. de Robilant ait voulu redresser l’épine dorsale de M. de Launay, la trouvant trop inclinée, et que, pour cela, il se soit redressé et un peu forcé lui-même en sens contraire. Au reste, l’opinion de son subordonné lui importait peu, pourvu qu’il fût compris et obéi.