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« En voilà assez sur ce sujet ! dit-il ; vous ne m’approuverez pas ; mais mon langage avec vous ne laissera pas, au moins, place à l’ambiguïté. » En fin de compte, il n’est pas allé à Gastein. « Je ne puis pas vous cacher, écrit-il, que toute cette mise en scène que comporteraient, d’après votre programme, ma visite à l’empereur d’Allemagne, ma rencontre avec Bismarck, Giers et Kalnoky, me répugne profondément. » Sachons-lui gré de ce mot. M. le général comte de Robilant n’aurait pas envoyé le fils de son souverain, le prince héritier d’Italie, figurer à Metz dans une parade militaire à côté de l’empereur d’Allemagne. Avec lui, ou n’en était pas encore là. Il est vrai de dire qu’on en est revenu.

Mais pourquoi M. le professeur Frassati et ses amis ont-ils jugé le moment venu de publier une correspondance vieille de dix ans et plus ? Si l’alliance de l’Italie avec les deux empires du centre n’était pas aussi solide qu’elle l’est, cette publication ne pourrait qu’en ébranler les bases. Elle n’aura probablement pas ce résultat : toutefois, il est permis d’y voir un symptôme de l’état actuel des esprits. Le désenchantement au sujet de la Triple Alliance a fait depuis quelque temps des progrès sensibles en Italie. L’infécondité d’un pareil arrangement n’a d’égale que son inutilité. Ce que M. de Robilant apercevait en 1886, dans un moment où la mauvaise humeur le rendait plus lucide, s’est réalisé de point en point. Sa lettre indique d’ailleurs assez bien à quel sentiment tout Italien obéit dans cette affaire. Il voudrait que son pays jouât un autre rôle dans l’alliance. Il avait rêvé pour lui quelque chose de mieux, et non seulement de plus fructueux, mais de plus flatteur. Sa désillusion a été prompte. On voit bien, par le ton qu’il affecte et par sa préoccupation de ne montrer aucun empressement personnel, qu’à son avis, l’Italie ne se sent pas dans l’alliance sur le même pied que l’Allemagne. Et cela le froisse et le choque. S’il vivait encore aujourd’hui, il penserait sans doute et sentirait de même : mais aurait-il approuvé la publication de sa lettre de 1886 ? En tout cas, l’effet produit en Allemagne par cette publication ne lui aurait pas donné beaucoup de satisfaction. L’Italie ne gagne pas grand’chose auprès de son allié, lorsqu’elle se plaint de ne pas avoir la situation qui lui est due, celle que, dans l’essor de son imagination, elle s’assigne volontiers. Les Allemands ont avec elle la main lourde et dure : ils lui en font aussitôt sentir le poids. Qu’on en juge. « L’Italie, dit la Gazette de Francfort, étant donné sa population, devrait avoir quinze corps d’armée ; elle n’en a que douze, dont deux sur le papier seulement, et les dix autres sont constamment affaiblis par des congés multipliés. Ses fusils et ses canons sont de vieux modèle ; ses chevaux sont de qualité inférieure,