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queur accepterait-il de semblables offres ? Par humanité ? une sortie, même infructueuse, pouvant coûter aux Prussiens de 20 à 30 000 hommes ? Bien sentimental, cela, pour un ennemi qui ne voyait que les résultats, sacrifiait tout au but ! Par avantage politique ? l’armée du Rhin, seule, était capable de rétablir l’ordre social ?… Espoir chanceux, espoir précaire ! Au cas improbable où le Roi et ses conseillers l’accueilleraient, l’armée suivrait-elle ses chefs ?

Et cependant, si intense était le besoin d’espérer, que des âmes bien trempées, de solides courages, des hommes dont on ne pouvait suspecter l’honneur, en arrivaient à se cramponner à ce dernier moyen de salut. La fièvre où chacun vivait enfantait des cauchemars ; toute vie normale était abolie. Il fallait faire la part de ces circonstances uniques : cette armée bloquée, tenue dans l’ignorance des événemens tragiques qui se succédaient autour d’elle, passant des sursauts de l’espoir délirant à la plus morne prostration. Pis qu’une absence totale de nouvelles : des rumeurs insensées, grands souffles invisibles qui faisaient vaciller les âmes.

Nul espoir du dehors. Un gouvernement partagé fuyant lui-même devant l’ennemi, ou bloqué dans Paris, qui certainement ne pouvait tenir ! Certes, s’ils avaient connu l’héroïque défense de la capitale, les efforts désespérés du Gouvernement provisoire, tous ces généraux d’Afrique, d’Italie et de Crimée, ces chefs glorieux du Conseil supérieur n’eussent pas été frappés d’un tel engourdissement de l’honneur militaire, d’une telle paralysie de la volonté. Beaucoup en venaient à se demander si une boucherie nouvelle était nécessaire. Sans chevaux pour traîner les canons, sans cavalerie, rien que des fantassins forcés de franchir un cercle foudroyant d’obus et de balles, n’irait-on pas à un monstrueux massacre ? La captivité n’offrait aux gens de cœur que l’image d’une catastrophe pire, et la honte d’une humiliation à laquelle la mort était préférable. Pourquoi donc alors se refuser à une convention honorable qui permettrait de sortir avec armes et bagages ? Gagner du temps semblait la plus pressante nécessité… Ne ppuvait-on croire aussi — on avait tant besoin de croire ! — que les commandans en chef cédaient à un devoir d’humanité, en s’efforçant de sauvegarder, des souffrances de la captivité comme des horreurs du massacre, cette foule lamentable de soldats amaigris, courbés, phtisiques par centaines ? Était-il invrai-