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Il y a trente ans, il n’y avait dans la famille qu’un seul médecin ; C’était lui qui mettait au monde les enfans, c’était lui qui recueillait le dernier soupir des vieillards. On ne le considérait pas comme un homme qui vient faire une visite, que l’on paye de sa peine ; c’était un ami, le confident des douleurs comme des joies ; il suivait la famille pendant plusieurs générations, qu’il voyait grandir et se développer ; ce n’était pas un médecin, c’était le medicus familiaris. Quand l’un des membres de la famille était atteint d’une affection réclamant l’intervention d’un médecin spécialiste, c’était le docteur de la famille qui le choisissait ; il accompagnait son malade à la consultation, était présent à la visite. Comme il connaissait les antécédens héréditaires et personnels de son client, il lui était facile, avec l’aide du médecin spécialiste, de formuler un traitement rationnel.

Que se passe-t-il aujourd’hui, aussi bien à Paris que dans les villes et les campagnes ? C’est à la dernière page des journaux que l’on cherche le nom du médecin spécialiste ; on va le consulter. Ce médecin, qui ne connaît en rien le malade qui lui arrive, institue le traitement qui lui semble bon ; mais comme le malade et le médecin ne sont pas liés l’un avec l’autre ; comme le client ne tient pas à son médecin de hasard, qu’il le quitte avec une facilité égale à celle qui a décidé de son choix, il arrive souvent que le médecin, qui ne voit ce client de passage qu’une seule fois, ne peut suivre ni la marche de l’affection, ni le résultat du traitement qu’il a ordonné. J’ai, plusieurs fois, vu des personnes qui recevaient ainsi les soins de deux, trois et même quatre médecins, lesquels ignoraient leur singulière collaboration. Mais cette multiplicité de traitemens, bien que chacun, pris en particulier, pût être convenable, causait le plus grand préjudice à la santé du malade, car une médication, pour être efficace, doit être une et bien coordonnée. Ai-je besoin d’ajouter que le spécialiste ne peut avoir pour son malade de hasard les attentions délicates, je dirai même presque paternelles, du medicus familiaris ?

Depuis quelques années, les sociétés de secours mutuels ont pris un développement excessif. Ces associations, je le reconnais, rendent de grands services ; mais le nombre de ceux qui en font partie et qui, par leur situation de fortune, seraient à même de payer leur médecin, est considérable. Je pourrais citer trois villes, dont l’une est proche de Paris, où tout le monde fait partie d’une société de secours mutuels, à commencer par le maire et le notaire.